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Psychologie

Libérer un secret personnel : vouloir, pouvoir ou nécessité ?

Un secret personnel, qu’il soit noble ou vilain, peut être partagé avec des êtres qui nous sont chers et à qui nous donnons ainsi notre confiance. Mais parfois, le secret personnel se cache à nos propres yeux, tellement il est enfoui dans les profondeurs de notre conscience pour atteindre notre subconscient. Ce secret-là, je l’appellerai dorénavant le secret insaisissable, en opposition au secret ordinaire, celui que l’on décide de divulguer ou non. Un secret insaisissable peut entraîner un état de mal-être et nuire à la santé mentale et physique. La personne qui détient un tel secret aura du mal à le faire remonter des ténèbres, et par conséquent, à se libérer de sa souffrance.

© philm1310 (Pixabay)
Jardin secret ou champ de bataille

Nous avons probablement tous notre jardin secret, parsemé de secrets ordinaires plus ou moins beaux, une sorte d’éden dans lequel nous aimons parfois nous balader par la voie de notre imagination, et sourire à certains vécus du passé qui ont construit notre personne.

Mais pour d’autres, ce jardin s’apparente à un champ de bataille, constitué tantôt de secrets ordinaires, mais blessants, tantôt de secrets insaisissables.

Dans le cas de secrets ordinaires blessants, les personnes vivent par exemple différentes formes de violences et de persécutions dans le silence de leur quotidien familial, relationnel ou professionnel. Ces traumatismes totalisent un grand nombre de secrets lourds à porter, et qui en même temps sont difficiles à confier à des tiers, même s’ils sont bien conscientisés. En effet, les victimes pourraient dévoiler leurs secrets, mais n’osent pas, par crainte de représailles de la part de leur agresseur, ou encore, par un sentiment de honte ou de culpabilité. C’est souvent le cas chez les personnes sous emprise, comme les femmes battues ou les victimes de harcèlement au travail.

Quand il s’agit de secrets insaisissables, je pense à tout ce qui peut générer un stress post-traumatique : dans le décours de l’événement potentiellement traumatique, la victime a vécu le sentiment que sa vie a été menacée et qu’elle aurait pu mourir, comme lors d’un attentat ou d’un braquage. Mais de manière plus subtile, cette forme de stress peut également prendre une tournure dépassée lorsque le fait traumatisant met en péril l’intégrité existentielle dans un sens beaucoup plus large, et pas le simple fait de pouvoir rester en vie. Pour illustrer ceci, les attouchements et attentats à la pudeur chez de jeunes enfants tuent les victimes d’une certaine façon, dans ce qu’elles sont en tant que petites filles ou petits garçons. Qui plus est, le lien envers le prédateur s’avère de facto asymétrique et donc toxique lorsqu’il s’agit d’un parent ou de tout autre membre de la famille ou encore du cercle de connaissances supposé être bienfaisant. Quant aux victimes ayant survécu à un viol, elles sont pourtant mortes dans leur identité existentielle. Pour ces personnes, tout se passe comme si le champ de bataille dont il était question plus haut était laissé en friche dans leur mémoire émotionnelle, afin de ne pas revivre le martyr qui les a déconstruites. Au niveau neuropsychologique, ce phénomène résulte d’une sorte de court-circuit protecteur, bloquant toute interaction entre d’une part, le cerveau cortical capable de conscientiser et d’exprimer, et d’autre part, une partie du cerveau limbique, appelée l’amygdale, détentrice de la mémoire émotionnelle. Ainsi, les émotions post-traumatiques sont gardées prisonnières dans cette zone du cerveau : les victimes ne sont pas capables de les représenter, mais l’impact nocif sur leur existence est majeur. La souffrance est ressentie et portée au quotidien comme un lourd sac à dos, mais demeure sans véritable verbalisation, même si la victime n’a pas pour autant perdu la mémoire de l’événement traumatisant.

Stress et langage corporel

Dès lors, faut-il s’étonner, lorsque notre cerveau n’ose pas (secret ordinaire blessant) ou ne peut pas (secret insaisissable) exprimer une souffrance émotionnelle profonde, que celle-ci s’auto-exprimera bien volontiers par le vécu des symptômes de stress traumatique ou post-traumatique, ainsi que par le biais du langage corporel ? J’illustre ce phénomène avec une métaphore : lorsqu’une évacuation est obstruée, l’eau s’infiltre partout là où elle le peut.

S’ensuivent ainsi différentes formes d’affections psychiques et somatiques dont l’étiologie n’est, de prime abord, pas évidente : par exemple, une dépression survenant malgré un contexte prospère, un trouble dissociatif où la personne, sans crier gare, se détache de soi et de son environnement, l’abus d’alcool ou la consommation de drogues sans raison compréhensible, ou encore, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie à laquelle s’intéressent autant les rhumatologues, neurologues, anesthésistes que les psychiatres.

Il y a aussi les maladies qui connaissent des fluctuations selon l’état de stress, comme par exemple, l’eczéma, l’ulcère d’estomac et les colopathies fonctionnelles, sans perdre de vue que le stress peut aussi altérer l’état d’immunité et favoriser l’apparition de maladies auto-immunes1.

Et enfin, il y a regrettablement des hommes et des femmes qui portent atteinte à l’intégrité de leur propre corps, de manière compulsive ou impulsive, dans le but d’échapper à leur détresse émotionnelle en se concentrant sur la douleur physique qu’ils s’infligent. Parfois, ces automutilations se déroulent en cachette et s’effectuent sur les parties du corps dissimulées par les vêtements.

Avant de poursuivre, je tiens à formuler deux remarques importantes. Premièrement, ce n’est pas parce que l’origine d’une affection est difficile à expliquer qu’il s’agira nécessairement d’une maladie ayant pour origine un psychotraumatisme. Deuxièmement, ce n’est pas parce qu’une maladie est qualifiée de psychosomatique que les personnes qui la présentent ne souffrent pas réellement dans leur corps. De tout ce qui précède, il incombera au médecin de faire la part des choses.

De bien tristes observations : relation de cause à effet ?

Dans ma pratique, j’ai été particulièrement sensibilisé par le grand nombre de femmes qui, au cours de leur existence, ont été victimes d’attouchements sexuels, d’incestes, de viols ou de violences conjugales. En toute transparence, et sans avoir enregistré des chiffres à des fins statistiques sur le sujet, je suis arrivé à ma propre conclusion que près d’un tiers des femmes chez qui j’ai pris la peine de pousser un peu plus loin mes investigations ont connu de telles agressions. Je reviendrai plus loin dans l’article sur la notion d’investigation. J’ai également pu compter des victimes masculines, mais selon moi, dans des proportions significativement moindres.

En parallèle, nous pouvons constater qu’un grand nombre de symptomatologies et de maladies, notamment celles citées plus haut, sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Par exemple, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie, cette maladie invisible, mais invalidante, toucherait jusqu’à 9 femmes pour 1 homme2; l’automutilation s’observe jusqu’à 7 femmes pour 3 hommes3.

© susan-lu4esm (pixabay)

Même si les causes d’un grand nombre de ces maladies sont mal connues, hypothétiques ou multifactorielles (facteur génétique, hormonal, environnemental, …), il n’en demeure pas moins qu’il est tentant de vouloir établir un facteur d’aggravation voire une relation de cause à effet entre ces formes de violences et l’état de santé des victimes, féminines pour la majorité, qui ne relient pas toujours d’elles-mêmes leurs symptômes aux agressions dont elles furent la proie.

Libérer un tel secret personnel est une nécessité

Vous l’aurez compris : de nombreuses femmes, et dans une proportion moindre, les hommes, portent en eux une histoire lourde et indicible, potentiellement responsable de nombreux maux pour lesquels ils n’ont pas de mots.

Mais comment libérer ou faire libérer un tel secret, soit-il ordinaire blessant ou insaisissable, et en ouvrir les portes lourdes et opaques ? Que l’on soit une personne de confiance proche de la victime, thérapeute (médecin, psychologue ou tout autre professionnel de la santé), ou encore, toute personne exerçant une profession visant à apporter de l’aide aux victimes (policier, avocat, …), il importe de savoir comment aider la victime dans le respect du rôle et des compétences de chacun, de sorte que la lumière puisse être faite sur ce qui a causé ses souffrances, avec l’espoir de l’en guérir.

Savoir, le premier pas pour venir en aide

Savoir que toutes ces formes de violence existent, savoir qu’elles sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne pourrait l’imaginer, savoir qu’elles surviennent dans tous les milieux, même les plus inattendus sous prétexte qu’ils sont privilégiés au niveau socioculturel. Savoir, comme montré plus haut, à quel point les secrets ordinaires blessants et les secrets insaisissables peuvent provoquer des dommages psychiques et physiques profonds.

Savoir tout cela, tant et si bien que l’on osera investiguer plus loin, quand bien même la question est délicate et touche à la sphère intime de la victime. Il s’agit bien d’oser investiguer, car à ce stade, ce n’est qu’en toute hypothèse que la victime peut être qualifiée en tant que telle, sauf si elle vous montre un point noir dans la paume de sa main.

Point noir dont il importe de connaître la signification, et même de la faire connaître autour de soi. La campagne #blackdot ou #lepointnoir a été lancée le 25 novembre 2018 et en donne la définition4 suivante : le point noir est un code de détresse destiné aux victimes de violence sous emprise. Il se montre discrètement à une personne choisie, à un moment choisi et est un appel à l’aide. La personne qui aperçoit ce code a pour mission d’aborder la victime discrètement afin de l’aider à s’orienter vers des professionnels. Il s’agit donc de personnes qui portent en elles un secret ordinaire blessant tel que je l’ai défini au début de l’article. Au contraire, les personnes porteuses d’un secret insaisissable s’exprimeront de manière subconsciente par un état de stress et par le langage corporel auxquels il conviendra d’être attentif.

La bonne attitude

Imaginez une victime qui aimerait pouvoir se confier, mais qui n’ose pas, par crainte, par honte, ou parce que tout est confus dans son esprit. Face à elle, un confident ou un professionnel de la santé qui se montre peu disponible, qui est centré sur ce qui est visible, palpable ou compréhensible pour lui. Aucune chance qu’elle puisse se faire entendre, ni aucune chance qu’il puisse gagner sa confiance.

Empathie, respect et bienveillance sont les trois clés pour ouvrir à la victime la voie de la parole. Si nous adoptons une telle attitude, nous serons peut-être la toute première personne à pouvoir repérer des éléments qui s’avéreront pertinents pour la suite.

S’accrocher à l’incompréhensible

Lorsque la souffrance et le mal-être ne peuvent pas trouver une explication évidente organique, biologique ou dans la sphère psychique, il est tentant pour l’entourage de nier ou minimiser, et de penser que cela s’améliorera avec le temps. Quant au médecin, il sera souvent sollicité pour prescrire un antidouleur, un spasmolytique, un anxiolytique ou un antidépresseur, bref, quelque chose qui soulagera le mal. En vain.

C’est précisément ici que doit s’opérer un déclic dans l’entourage de la victime ou chez le professionnel de la santé. Se poser la question s’il n’y a pas une blessure profonde, indétectable à première vue, faisant l’objet d’un secret ordinaire blessant ou d’un secret insaisissable. C’est alors s’accrocher à l’incompréhensible pour faire remonter la vérité en investiguant plus loin.

Tendre une perche

C’est maintenant que vient le moment le plus délicat. Comment aborder une personne devant soi, potentiellement victime, sans avoir aucune certitude qu’elle a, primo, réellement un vécu traumatique, et secundo, qu’elle est disposée à en parler ici, maintenant et avec soi ?

Si l’on pose directement la question suivante : avez-vous été violé(e) lorsque vous étiez plus jeune ? Il y a tout à parier que la personne vous répondra non, et tout se terminera là.

L’astuce consiste à poser la question de manière indirecte, mais sans tourner autour du pot, tout en expliquant son contexte. C’est une manière de vous montrer ouvert au dialogue sans l’imposer à la personne face à vous.

Un médecin pourrait par exemple annoncer à sa patiente que malgré les examens réalisés, il ne trouve pas vraiment d’explication à son mal.  Ensuite, il fera savoir qu’il y a des blessures qu’on n’arrive pas à exprimer ou à divulguer, mais que le corps peut le faire. Ensuite, il dira à sa patiente qu’il va lui tendre une perche en donnant un exemple concret sans qu’elle se sente obligée de réagir ou de répondre que c’est son cas, ou pas. Il poursuivra alors en disant qu’il y a de nombreuses femmes qui, dans leur passé, ont été victimes d’attouchements ou de viols, et qu’elles ont été blessées tellement profondément qu’elles ne peuvent pas l’exprimer avec leurs mots, et que c’est leur corps qui parle. Il terminera en disant à sa patiente que si elle pense être dans cette situation, comme ces autres victimes, que c’est important pour elle de pouvoir se confier un jour à quelqu’un en qui elle a confiance, et que cela ne doit pas être nécessairement ni lui ni maintenant.

Si la personne ne réagit pas ou vous répond que ce n’est pas son cas, il ne faut pas insister et lui demander si elle pense à d’autres formes de traumatismes.

Bien orienter

Alors que faire si la personne vous dit qu’effectivement, elle vit ou a vécu une forme de violence ? Il est important de pouvoir écouter la victime, et selon sa situation, de l’orienter vers les bons profils de compétences : nécessité de mesures de protection, prise en charge psychothérapeutique, conseils juridiques en droit familial ou en droit du travail, intervention d’un travailleur social, suivis médicaux, etc.

Épilogue

Les violences sont nombreuses et revêtent différentes formes. La souffrance qu’elles entraînent est lourde et souvent inexprimable. Par conséquent, les violences ne sont pas assez connues et sont trop souvent banalisées.

Un minimum de prise de conscience de cette problématique et de ses conséquences par tout un chacun permettra, osons l’espérer, de réduire leur incidence et de nous rendre suffisamment attentifs, au quotidien, à tout appel au secours, fût-il silencieux…

Texte rédigé par Philippe Marneth


(1) Stress, immunité et physiologie du système nerveux

(2) Haute Autorité de la Santé : rapport d’orientation sur la fibromyalgie

(3) Automutilation : ressentir la douleur physique pour échapper à la détresse émotionnelle

(4) lepointnoir.com

Lien primordial, ce lien par lequel nous vivons

Comment expliquons-nous les différences relationnelles qui existent au sein des familles ? Comment pouvons-nous approcher et mieux comprendre les dynamiques conflictuelles, polémiques ou violentes constatées dans certains foyers ? Comment se fait-il qu’un enfant, quand bien même physiquement ou moralement violenté, puisse continuer à vouloir arranger, excuser, justifier, supporter ou réparer ses liens avec ses parents ? Beaucoup d’entre nous se sont posé ces questions. Force est de constater que malgré tout, beaucoup s’acharnent à vouloir maintenir à tout prix des liens familiaux même s’ils sont toxiques, voire délétères, pour ceux qui en souffrent, souvent en silence.

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Alliance, lien ou relation

L’une des pierres angulaires de ma pratique sur l’intersubjectivité se base sur une distinction entre les concepts d’alliance, de lien et de relation. C’est la raison pour laquelle, au cours de mes entretiens, je m’intéresse à la manière dont le sujet construit l’ordre du monde dans lequel il évolue, la place qu’il y occupe et celle que prend l’Autre dans ce même monde. J’ai pu esquisser une première définition du lien et de la relation dans un autre article paru sur Quotiz (lien vers l’article).

Tous mes écrits sont le fruit de mes élaborations et réflexions que je peux porter sur mes grilles de lecture et sur ma propre pratique. La théorie sans la pratique, la pratique sans la théorie, n’a que très peu de sens.

Lien versus Relation

Un lien, c’est ce qui nous attache, nous engage affectivement envers une ou plusieurs personnes, voire plus tard à une valeur, à un principe ou à une idéologie. La nature de ce qui nous attache initialement à nos parents est impalpable. Nous ne pourrions définir avec exactitude ce qui maintient ces liens qui nous influencent. Il s’agit des personnes auxquelles nous restons fidèles et envers lesquelles toute transgression de loyauté génèrerait potentiellement un grand malaise, une culpabilité, une honte couplée d’un effort de réparation ou de récupération. Dans le lien, il y a toujours quelque chose qui nous échappe et qui nous met en mouvement vers la personne désignée. Lorsqu’un lien est noué, celui-ci implique quasi systématiquement que l’autre détient quelque chose de précieux qui nous appartient : le pouvoir de nous influencer, de capter notre attention, de nous pousser à l’adaptation ou à la transformation. Dans certains cas, ce lien est positif et réciproque, mais dans d’autres, ce lien peut être négatif ou asymétrique.

A contrario, la relation n’engage personne en dehors de la simple interaction observable entre deux personnes : pas d’influence sur le temps, pas d’adaptation durable, pas d’affect, pas d’amour, pas d’engagement, pas de loyauté. Cela dit, les relations sont nécessaires, non seulement parce qu’à travers elles, nous nouons des liens, mais également parce que nous ne pouvons pas nouer de liens avec tout le monde de manière convenable. Bien qu’il existe une propension à offrir notre lien de manière plus ou moins indifférenciée, il importe de ne pas gaspiller cette capacité suffisamment précieuse en l’accordant à quiconque, pour de mauvaises raisons ou par influence. Il s’agit pourtant de s’en rendre compte pour s’offrir la possibilité de choisir nos liens futurs avec parcimonie et qualité.

Le lien n’est pas toujours sans danger

Être en lien est relativement énergivore selon les situations. C’est ce qui peut nous pousser à accepter ou à faire des choses qui d’ordinaire toucheraient à l’inacceptable. Mais c’est aussi le lien qui nous incite à vouloir comprendre l’autre, et à vouloir résoudre un conflit. Lorsque le lien est négatif ou non réciproque, c’est-à-dire que l’autre est uniquement en relation, ce lien devient extrêmement énergivore et dangereux pour le maintien ou la construction d’un équilibre psychique ou d’une liberté partagée. La personne dans le lien passe alors souvent pour folle et nourrit par la même occasion l’équilibre psychique de l’autre. L’autre n’aura qu’à profiter volontairement ou involontairement de ce déséquilibre pour ne pas se penser fou lui-même.

La dyade enfant-parent ou le lien primordial

Il existe cependant un lien auquel nous ne pouvons échapper et qui peut être à la source de beaucoup d’états de mal-être futurs. Enfant, aucun choix ne nous est laissé. L’enfant est naturellement assujetti à son preneur de soin. Tout enfant construira ainsi les premiers sens de son existence à travers le prisme de ce que lui renvoient ses propres parents. C’est à travers ce qui se joue dans son système familial qu’il construira ou non ses premières catégorisations, entre ce qu’il est et ce qu’il n’est pas, ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas, ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Et ce, avant même qu’il apprenne l’existence d’un monde plus vaste et qu’il se confronte à la « réalité commune ». Autant dire que ses premières constructions du monde, de la place qu’il y occupe et de ses modalités de rapport à l’Autre seront « conditionnées » par son système familial.

À travers leurs propres représentations de ce que sera leur futur enfant, les parents construisent déjà, avant même sa naissance, leurs attentes ainsi que la place qui lui sera disponible. Notamment à cause de leurs présupposés sociaux, comme le genre normatif lié au sexe de l’enfant, les parents seront, par exemple, tentés de peindre la chambre de leur futur enfant en bleu si c’est un garçon ou en rose si c’est une fille. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme leurs propres vécus de jeunesse, leurs rapports avec leurs propres parents, leurs attentes et aspirations, ou encore leurs propres agendas relatifs au projet même d’avoir un enfant. Ainsi, l’enfant né occupera une place qui lui est préexistante et remplira une fonction dans un système familial qui lui est également préexistant.

L’univers familial dans lequel l’enfant naît est ainsi primordial dans son développement psychique. Son immaturité fonctionnelle l’oblige à dépendre de son preneur de soin. Comprenez maintenant pourquoi le rapport à nos propres parents est souvent abordé en psychothérapie, ironiquement, le plus souvent amené par le patient lui-même fréquemment réticent à cette idée. Ce n’est pas que ce rapport vous définisse, mais il raconte aussi votre histoire.

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S’il y a donc bien un lien inévitable, il s’agit du lien que l’enfant nouera avec ses preneurs de soin. Ce lien, je le nomme plus délibérément un lien primordial. Ce lien est littéralement nécessaire et vital à tout enfant. Les enjeux néfastes du manque de continuité ou de cohérence affective dans la relation enfant/preneur de soin sont déjà bien connus en psychologie et psychiatrie sous le nom de « relation anaclitique ».

Un lien enfant-parent n’est pas toujours réciproque

Comprenons bien : alors que le parent noue immanquablement un lien avec ses propres parents, il n’est pas exclu qu’à l’inverse, il ne noue aucun lien avec son propre enfant. Plusieurs raisons peuvent alors entrer en ligne de compte.

L’enfant né arrive dans un contexte familial ne pouvant l’accueillir affectivement, par accident ou pour de mauvaises raisons. Par exemple, à travers la naissance d’un enfant, il arrive que des personnes souhaitent en réalité sauver leur couple. La charge et l’attention dont l’enfant aura besoin finiront par séparer les parents, ou bien l’enfant lui-même sera délaissé une fois sa fonction accomplie. Il se peut que l’enfant soit souhaité pour de toutes autres raisons, et que la place qui lui est alors laissée soit tellement restrictive et fonctionnelle que l’enfant devient un simple objet répondant aux envies du parent.

Toujours est-il que tous les enfants, à des exceptions près, trahiront l’agenda de leurs parents pour leur propre besoin de développement identitaire. C’est normal et souhaitable, notamment à l’adolescence, mais bien avant également. Le plus beau des cadeaux qu’un parent puisse offrir à son enfant est justement de lui signifier la transgression, sans que cette trahison puisse mettre à mal leur attachement réciproque. En somme, l’enfant dépassant clairement une limite devrait recevoir le pardon de son parent.

Dans le cas de « parents toxiques », aucune transgression ne sera tolérée. Chacune d’elle ira avec son lot de coercitions physiques ou morales à l’encontre de l’enfant. Les violences conjugales (même sans violences parentales) attaquant les repères de l’enfant sont tout aussi néfastes pour l’enfant qu’une violence directement dirigée sur lui. La violence faite à l’un de ses parents par son autre parent est et restera toujours une violence faite à l’enfant.

Les violences conjugales, même sans violences parentales, sont et resteront toujours des violences faites à l’enfant.

À remarquer que tout dépendra de la gravité « objective » de la transgression. Certains parents peuvent aussi avoir besoin de soutien pour leur permettre de faire la part des choses entre les besoins de l’enfant et les problèmes inhérents au couple. Après tout, l’enfant n’est pas un objet, mais un être vivant qui construira également ses propres modalités de fonctionnement, malgré les compétences suffisantes de ses parents.

Ce lien primordial fait partie de ces enjeux cliniques qui nous rendent dépendants de nos parents et qui moduleront notamment notre manière de nouer des liens dans le futur, ou au contraire, de ne pas pouvoir en nouer du tout.

Ce premier lien est une question de survie. Pour insister sur ce caractère vital, je vous propose trois études qui m’ont aiguillé vers cette conceptualisation du lien primordial.

L’enjeu de la langue parlée originelle

L’Histoire nous apporte deux expériences qui ont retenu mon attention depuis quelques années. Elles illustrent la nécessité du lien dont l’enfant a besoin pour « désirer ou avoir envie de vivre ». Bien qu’il m’en coûte de vous les exposer pour leur caractère totalement abject, elles me permettront de vous illustrer ce qui précède, ainsi que les conséquences de ce qui est souvent rencontré dans ma pratique.

Dans la première moitié du XIIIe siècle, l’Histoire raconte une période prise dans une suite de croisades politico-religieuses au Proche-Orient. Pas moins de trois croisades (Ve, VIe et VIIe) ont été menées pendant cette seule période. L’Empereur de l’Empire romain germanique Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) organisa l’expédition de la sixième croisade (1228-1229) pour reconquérir les territoires du royaume de Jérusalem perdus depuis la fracassante conquête de Saladin (1138-1193), Sultan d’Égypte et premier dirigeant de la dynastie ayyoubide. Il s’agit donc d’un contexte de campagnes militaires motivées par l’accès au « pèlerinage armé des chrétiens en Terre Sainte » pour aller prier au Saint-Sépulcre, le tombeau du Christ, dans la Vieille ville de Jérusalem. Dans ce contexte géo-politico-religieux, Frédéric II a voulu connaître quelle était la langue que développeraient des bébés s’ils se développaient sans contact linguistique. L’enjeu était de connaître la langue originelle de l’être humain : le grec, le latin, l’hébreu, l’arabe ou simplement, la langue maternelle de leurs parents. Pour ce faire, il ordonna la saisie de plusieurs orphelins et commanda aux gouvernantes et aux nourrices de veiller à leur hygiène et à leur nourriture, sans jamais leur adresser la parole ni les caresser. Ainsi, l’expérience devait fournir les besoins primaires de l’enfant, nourriture et hygiène, et permettre ainsi l’émergence « naturelle » d’une langue.

Pour résultat, la langue de Dieu n’est jamais apparue, ni aucune autre langue. Pire, sans la possibilité de nouer un lien avec leur preneur de soin pour dépasser la simple relation basale, les enfants sont tous tristement décédés durant leur enfance. La simple satisfaction des besoins primaires des enfants, nourriture et hygiène, semblait ne pas suffire pour leur insuffler une place qu’ils pourraient occuper tout en leur signifiant le désir, la nécessité ou l’envie de s’y accrocher.

La deuxième expérience permettra de préciser davantage les enjeux de cet accrochage et la nécessité des interactions affectives entre l’enfant et son preneur de soin.

Au début du Livre II des Histoires, Hérodote (historien, 480-425 AEC) nous raconte une expérience menée par le dernier des Pharaons, Psammétique III (VIe siècle AEC). Il raconte un débat tenu entre les Égyptiens et les Phrygiens (une région de la Turquie actuelle) où il était question de savoir qui était le peuple le plus ancien de la terre. Pour trancher, le Pharaon Psammétique III mit en place une expérience décisive. Il prit deux nouveau-nés qu’il sépara de leurs parents biologiques, et les confia à un berger. Le berger se chargea de les élever à l’écart de la société égyptienne et phrygienne, et les confia à une chèvre qui en prit soin seule. Le berger ne devait pas s’interposer dans le processus, ni leur adresser la parole, ni intervenir dans les relations entre la chèvre et les enfants. Comme Frédéric II, Psammétique III souhaitait ainsi créer les conditions propices à l’émergence d’une langue sans influence humaine extérieure. Après deux ans, les deux malheureux enfants prononcèrent le seul et même mot : Becots (pain en phrygien).

Au-delà de la victoire phrygienne au détriment des enfants, la conclusion voudrait que la faim ait été le moteur de l’émergence du langage. Plus encore, une des différences notables qui existe entre les expériences ignobles de Frédéric II et Psammétique III concerne la capacité de la chèvre à pouvoir offrir aux enfants le soin affectif dont ils ont besoin avant même le développement du langage. Le fait même que les enfants aient pu entretenir un contact chaleureux avec leur preneur de soin, quoiqu’animal, leur a sans doute permis de survivre dans le lien qui les unissait. Contrairement à la première étude, les relations intersubjectives partagées leur ont offert un sens partagé à leurs existences. Ce contexte d’interaction partagée aurait pu contribuer à la construction précoce d’un ordre du monde, d’un rapport à ce monde et de la place que pouvait occuper l’Autre dans ce même monde, permettant ainsi aux enfants de survivre. Je ne saurais dire si dans ce cas le lien était réciproque, mais ce qui est sûr, c’est que la chèvre a fait un meilleur boulot que les deux autres hurluberlus.

Concernant cette dernière remarque sur l’importance du lien affectif primordial, un chercheur psychologue américain, Harry Harlow (1905-1981), a réalisé une célèbre étude dans les années 50, mais cette fois avec des singes.

Mère artificielle pour mère porteuse

Harlow a construit deux « poupées » artificielles, des mères inanimées servant de substituts aux bébés singes. L’une était douce, faite en bois recouvert de caoutchouc souple, d’un tissu spongieux, et dégageait de la chaleur. L’autre mère artificielle était rude et froide, réalisée en treillis métallique nu, mais offrait du lait aux bébés. Contrairement à la croyance psychanalytique de l’époque selon laquelle les bébés s’attacheraient aux mères qui les nourrissent, les bébés singes ont passé la plupart de leur temps à embrasser la mère en tissu.

Ensuite, l’équipe d’Harlow disposa les bébés singes dans deux configurations : un test de peur et un test d’exploration. Dans la première, un objet étrange était disposé dans la pièce et dans la seconde, un objet connu pour susciter l’attention et la curiosité des singes. Dans les deux cas, les singes ayant été élevés avec la mère douce osaient explorer leur environnement en prenant pour base sécurisante leur mère artificielle (cf. attachement sécure ; Bowlby). Quant aux singes élevés par la mère froide, ils n’exploraient pas leur environnement, et dans les deux configurations, ils restaient terrifiés aux pieds de leur mère artificielle (cf. attachement insécure ; Bowlby).

En outre, il fallait constater que fort malheureusement, tous les singes élevés par des mères artificielles douces ou froides étaient devenus d’étranges adolescents. Ils n’étaient pas attirés par les autres singes, ils restaient seuls, fixant le vide, et ne rentraient aucunement en interaction avec les autres. De plus, les femelles ayant été fécondées in vitro devinrent des mères horribles, punitives, excluantes et violentes. Les mères artificielles n’avaient pas pu les éduquer et les rendre sociables.

Harlow soulève une question pertinente quant à l’évolution de ces singes en « adolescents étranges ». Il met en évidence que le réconfort seul ne satisfait pas au développement de l’enfant sur le plan cognitif et affectif. Dans le cas des singes, le réconfort se joue seulement dans l’interaction imaginaire du bébé vers son preneur de soin. Quand bien même inertes, le cramponnement du bébé à la poupée a permis cette interaction. Par contre, l’absence de réaction de la poupée met en évidence l’importance de la réciprocité affective. Le réconfort offert par la poupée douce n’est pas suffisant car l’interaction n’est qu’« interprétative », asymétrique. Ainsi, peu importe la poupée, le singe noue un lien primordial mais qui malheureusement ne lui est pas rendu.  L’absence de réciprocité affective est un élément significatif qui a pu mener les singes à devenir d’étranges adolescents.

Dans cette même logique, dans l’histoire rapportée par Hérodote, la chèvre est vivante. En plus du réconfort offert aux deux enfants, ses réactions et donc leurs interactions, pourraient éventuellement avoir offert aux enfants un dénouement différent. Pour l’enfant, le fait de se lier au mauvais objet et plus particulièrement à un « mauvais preneur de soin » peut conduire à une rupture de ce qui peut être considéré comme des comportements acceptables. Les apprentissages, les interactions, l’équilibre entre les limites et l’affection, les tâtonnements ainsi que les confrontations à l’environnement sont autant d’éléments importants au bon développement de l’enfant que simplement le réconfort, la protection ou la satisfaction des besoins primaires (nourriture et hygiène).

En guise de conclusion

De ce qui précède, je pense avec raison qu’il puisse y avoir des substituts efficaces à la mère, y compris le père, ou tout autre preneur de soin capable de remplir cette première fonction de lien primordial pour autant que le preneur de soins assure la réciprocité du lien.

Cela explique mon utilisation du terme « preneur de soin » ou « parent » au détriment de « mère » ou de « père », car rien n’indique qu’un couple de parents devrait être composé exclusivement de deux personnes de sexe opposé. Ni qu’un parent seul serait incapable d’être suffisamment bon pour l’épanouissement de son enfant. En outre, les appellations de « père » ou de « mère » en psychologie sont à comprendre et à contextualiser, car elles font davantage référence aux représentations symboliques de la Loi et de l’Affection plutôt qu’au genre ou au sexe de chaque parent.

S’il y a bien un lien sur lequel nous nous interrogeons trop peu souvent, c’est celui que nous avons noué avec nos parents. Le travail à réaliser sur ce lien est tout aussi complexe et persistant que celui à nouer avec une autre personne qui serait également à la source de violences physiques ou morales. Lorsqu’il n’est pas réciproque, ce lien peut être extrêmement délétère pour le développement d’un enfant, mais également pour son épanouissement affectif pour le restant de sa vie. Nos expériences de notre prime enfance sont des plus importantes, et préludent potentiellement à notre manière d’évoluer et de nous envisager dans notre environnement : ce que nous sommes, notre bien-être, notre équilibre affectif, nos rapports à l’Autre, et les cartes que nous mettons entre les mains des celles et ceux qui partageront notre vie.

Le lien primordial nous met, de facto, dans une première dynamique intersubjective de dépendance à nos parents. Il advient donc aux parents qu’il soit réciproque.

Comprendre et observer la manière dont s’articulent les dynamiques filiatives est le premier pas vers une émancipation affective des sources de violences physiques ou morales qu’un ou plusieurs parents peuvent exercer. Sans tiers intervenants, ces violences sont, la plupart du temps, continues, stables, et durables dans l’espace-temps intrafamilial et extrafamilial. Elles ont des effets néfastes sur l’équilibre cognitif et affectif des enfants chez qui les conséquences et les restes se retrouvent encore sous différentes formes une fois devenus adultes. Même dans un système hiérarchisé comme celui de la famille, une forme de réciprocité affective, dans les limites des relations interdites, est de mise.

Enfin, les dynamiques intersubjectives familiales sont de nature toujours plus complexe qu’elles n’y paraissent. De plus, travailler sur un lien dit filiatif vertical (enfant-parent) est très éprouvant lorsque cela nécessite d’ouvrir les yeux sur ce que peuvent être nos parents. Pourtant, nous faisons souvent l’impasse sur le simple fait que nos parents sont des personnes, des individus, des sujets, tout comme nous pouvons l’être. Cela implique que les mêmes approches et considérations cliniques peuvent s’appliquer à eux, autant qu’à nous. Un long travail d’acceptation et de démystification est parfois nécessaire pour atténuer les impacts affectifs sur notre propre bien-être.

Texte rédigé par Tim T. Stroobandt

Bibliographie

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Maalouf, A. (1983). Les Croisades vues par les Arabes. Paris : LCL.

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Vicedo, M. (2010). The evolution of Harry Harlow: from the nature to the nurture of love. History of Psychiatry, 21(2) 1–16.

Emprise, quand tu me tiens

Le mot « emprise » est bien trop souvent utilisé pour désigner une relation négative : il est alors synonyme d’une chose à éviter, à maudire, à fuir. Osons nous poser la question : est-ce réellement une si mauvaise chose ? Devons-nous à tout prix la diaboliser ? Existe-t-il un équilibre où l’emprise serait indispensable, nécessaire, à la construction d’une relation stable, durable et « idéale », et que dès lors, il ne faudrait se méfier que de sa version pathologique ? Je pense que oui… Permettez-moi donc de vous guider à travers l’emprise et ses dérives.

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Qu’est-ce que l’emprise ?

Partir de l’idée socialement acceptée et soulignée que l’emprise soit forcément mauvaise serait une erreur. Et pour cause, les termes pour qualifier l’emprise ne manquent pas et sont brandis à tout va : citons pour simples exemples les mots comme « perversion narcissique », « manipulateur pervers », « relation toxique », « aliénation », « manipulation », « influence malsaine », « tyrannie », « sujétion », et j’en passe.

Alors qu’en réalité, ces mots ne désigneraient qu’au mieux des relations dites « pathologiques » dans lesquelles l’emprise est mise au service d’un seul au détriment d’un autre qui serait toujours de bonne composition. D’autres fois, ces mêmes termes sont davantage utilisés pour qualifier des incompatibilités (ou au contraire de trop grandes compatibilités) lorsqu’il n’y a simplement pas d’entente possible pour un chemin commun entre des partenaires. « On ne peut pas plaire à tout le monde », n’est-ce pas ? Quand bien même, nous nous efforçons à le faire malgré nous.

Il y a donc « emprise » et « emprise » : une emprise qui se joue malgré nous et une dynamique d’emprise dans laquelle les partenaires entretiennent des liens affectifs sincères et réciproques.

Réciprocité, le mot est lâché. Toujours convoitée, rarement comblée. Ce n’est pas parce qu’on parle d’une relation d’emprise, qu’elle se joue sans l’accord, la participation et l’utilisation réciproques de ses mécanismes. Chacun a envie d’avoir un peu d’emprise sur son partenaire et chacun a envie qu’il ou elle en ait également sur soi. La construction d’un couple ou d’une famille stable et pérenne se joue sur l’emprise réciproque que chaque membre peut entretenir sur l’autre. Cette réciprocité pousse à l’adaptation, à la transformation ou encore à l’abandon de certaines habitudes qui dérangent son partenaire, ses enfants, ses parents, ses amis, ses collègues, etc. Le tout dans l’esprit de construire une atmosphère suffisamment agréable pour que tous puissent trouver une place au sein de la relation. Par exemple, il est commun de manipuler nos enfants en pensant que c’est pour leur bien, et en retour, nos enfants font de même en pensant aussi que c’est pour notre bien.

Ainsi, les liens affectifs que nous nouons passent nécessairement par des mécanismes d’emprise que nous désirons réciproques. Lorsque les liens familiaux, les liens conjugaux, les liens fraternels ou les liens d’amitiés sont non toxiques, l’emprise qui est en jeu permet l’engagement, la fidélité, la loyauté ou encore le partage des valeurs et des projets, tout en laissant à chacun la place d’exprimer ses différences et ses désaccords. Elle permet à chacun de commettre des erreurs et d’œuvrer à la résolution des conflits, car les liens qui les unissent sont plus forts que l’envie d’avoir toujours raison ou de risquer une séparation.

Lien n’est pas relation

Le lien, c’est ce qui nous attache les uns aux autres. Ce qui nous attache à nos parents, à nos enfants ou à nos amis est impalpable. Nous ne pourrions décrire précisément les affects, les jeux d’influences, d’engagements et de loyautés que nous entretenons. On a beau être un homme, grand, fort et viril… mais quand votre enfant vous dit que vous êtes une princesse, vous êtes une princesse. Nous avons ce lien qui nous pousse finalement à accepter son influence, ses désirs et ses envies, et ce faisant, à participer à la consolidation du lien qui nous unit.

Le lien est incorporel, non descriptible, irrationnel et profondément subjectif. C’est cette chose qui nous retient d’une séparation alors que nos relations sont conflictuelles. La relation, en revanche, est le côté observable de nos interactions. Prenons un exemple : j’entretiens une relation avec mon boucher, je peux vous décrire la prestation de service, les différents comportements et attitudes cordiaux et sympathiques que nous adoptons pour nous conformer aux attentes sociales et pour rendre cet échange agréable. Toutefois, je ne noue pas de lien avec mon boucher. Passé la porte, il n’aura aucune influence sur ma journée ni moi sur la sienne, et sur le plan affectif, je ne garderai rien de lui sur le long terme. La relation n’engage ni loyauté, ni fidélité, ni affect.

En d’autres termes, le lien et la relation, c’est ce qui devrait faire la différence entre le flirt d’un soir et l’engagement conjugal.

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Le lien toxique dans l’engagement symétrique

Dans un premier temps, je vous invite à constater que j’ai délibérément utilisé l’appellation « liaison toxique », plutôt que « relation toxique », car il y a une différence notable entre ce qu’est un lien et ce qui renvoie à la relation.

Ce qui différencie le lien toxique de la relation toxique se situe dans l’asymétrie des objectifs, des manques et des besoins de chacun. Dans un lien toxique, les partenaires ont noué des liens, ils ont une emprise réciproque, mais tristement incompatible. Dans ce cas, l’emprise est toxique pour tout le monde. Ce n’est pas parce qu’on parle d’emprise que l’autre a forcément l’intention d’en faire une relation toxique ou que la personne qui souffre est forcément la victime de l’autre, il se peut que cette dernière soit la victime de ses propres insatisfactions. Les termes du contrat ne sont pas les mêmes pour les partenaires. Ils souffrent mutuellement, mais n’ont pas la volonté de détruire l’autre, malgré que cela puisse se produire. Dans le cas d’un lien d’emprise toxique, les deux acceptent la souffrance et la destruction d’eux-mêmes, mais aucun d’eux n’en jouit. Comprenez que le lien n’est pas toujours positif.

Pourquoi rester alors que ça ne va pas ?

Diverses raisons poussent les partenaires à rester malheureux ensemble : je peux citer la culpabilité de faire souffrir l’autre davantage, la honte de faire face ouvertement à un échec, le soi-disant bien-être des enfants, la peur de l’inconnu, de l’incertitude, de l’abandon ou de la solitude. Alors que la culpabilité nous pousse à la réparation, la honte de son côté nous fait risquer l’exclusion. Là où l’inconnu et l’incertitude nous angoissent, l’abandon et la solitude nous poussent à rester malgré tout. Implicitement, nous trouvons toujours une ou plusieurs bonnes raisons pour ne pas se séparer tout en y pensant fermement. Dans ma pratique, il arrive souvent de constater que même si la décision est prise, ce sont ses conséquences qui ne sont pas encore assumées. Quelque chose nous pousse donc à rester ensemble, mais l’intention n’est pas la destruction de l’autre. Ici, l’engagement reste symétrique.

Contrairement au lien toxique, la relation toxique implique une intention de destruction perçue comme nécessaire par l’auteur. Une violence morale à travers la destruction systématique, lente et durable de la victime pour créer un sentiment de toute-puissance venant combler une absence de narcissisme : la perversion narcissique. Ici, nous entrons dans l’engagement asymétrique.

La relation toxique pour une emprise pathologique

La relation est toxique lorsqu’il y a une asymétrie dans l’engagement, c’est-à-dire que l’un est dans le lien, l’autre est dans la relation. Là où l’un signe un contrat de lien qui l’engage, l’autre ne signe rien et n’entretient qu’une relation qui n’engage à rien. Des fois, cela ne dure pas longtemps, la séparation arrive unilatéralement. L’un des partenaires n’a finalement pas su nouer de lien. D’autres fois, la séparation n’a pas lieu. Alors que l’un a signé sincèrement un contrat de lien, l’autre entretient l’illusion d’une signature.

Le loup montre toujours patte blanche

Dans l’emprise pathologique, les partenaires signent un contrat sur lequel ils semblent d’accord, et avec lequel opère l’illusion d’un engagement mutuel. L’un donnera le meilleur de lui-même, « se pliera en quatre », alors que l’autre n’y participera pas. La victime, isolée physiquement et surtout aliénée moralement, se rendra compte de la supercherie, et pour autant qu’elle s’en rende compte, ce sera trop tard. Elle n’a pas signé de contrat, elle a signé un pacte avec le diable.

Dans la relation d’emprise pathologique, il y a un vice de consentement où l’auteur aura pour objectif de se nourrir de la destruction de tout ce qui appartient à l’identité de sa victime. C’est dans ce cas que nous pourrions parler de structure perverse dans un premier temps, puis de perversion narcissique dans un second temps (cela fera sans doute l’objet d’un autre article). L’auteur jouira de cette emprise et s’alimentera du déclin physique et psychologique de sa victime.

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Les 4 étapes vers la destruction

Je vous propose un voyage au cœur de l’apocalypse. Voici l’un des cheminements possibles vers l’emprise pathologique.

La séduction

Le pervers narcissique (PN) fait tout pour mettre la main sur sa victime et portera le masque qui lui conviendra le mieux pour la piéger. Ainsi sa victime entendra des mots agréables à l’oreille : « Tu es tout pour moi », « Je n’ai jamais vécu un amour aussi fort avec quelqu’un d’autre », « avec toi, c’est différent », etc. Le PN demandera à sa victime de faire des choses pour lui, de changer pour lui et il en fera de même dans un premier temps, afin de mieux mettre en place son emprise. Une fois sa proie sous emprise, le PN se rendra compte qu’un lien s’est noué, qu’elle est affectivement attachée à lui. Alors seulement, il passera à l’étape suivante : l’insensibilité. La réalisation du lien passera par un évènement notable et suffisamment particulier comme l’arrivée d’un premier enfant. N’avez-vous jamais entendu, « il n’est plus le même depuis le mariage ? » ou « tout a changé depuis l’arrivée de notre enfant » ?

L’insensibilité

À ce stade, la victime ressent progressivement que l’auteur a de l’influence sur elle, sur sa manière de penser et de faire, mais qu’à l’inverse elle n’a pas beaucoup d’influence sur lui. Elle fera des choses pour lui et elle changera parce qu’il le lui demande, mais à l’inverse, lui ne changera plus aucun comportement, ni aucune attitude. Il devient indifférent, quand bien même il prétendra l’inverse. Son naturel revient au galop et son masque tombe tout aussi progressivement.

La transgression

La première transgression suffisamment grande pour remettre en doute les clauses du contrat, sera, en fonction des sensibilités de chacun : la première insulte, le mensonge, la tromperie, l’adultère, le premier coup…. Le PN essayera de faire passer cela pour quelque chose de justifié, en chargeant la victime de la faute qu’elle a commise. En faisant appel à son empathie, sa compassion, sa culpabilité ou sa honte, la transgression finira par être « nécessaire » par rapport à la faute ou à la négligence qu’elle aurait selon lui commise. Quelque part, il est déjà trop tard. Elle partira en quête de ce qu’elle pourrait faire puisque son bon sens l’enjoint à considérer sa propre part de responsabilité. Peut-être n’est-elle pas suffisamment compréhensive, peut-être n’est-elle jamais satisfaite ? Elle finira par devoir réparer une faute qui à l’origine n’est pas la sienne. Lui, en revanche, ne sera jamais ni satisfait, ni satisfaisant.

La perversion

Ce qui est d’abord une transgression ponctuelle, se transforme en transgressions systématiques, la « norme », voire une obligation. À ce stade, la victime est déjà trop engagée sur plusieurs niveaux affectifs, sociaux ou économiques. Trop loin dans ses adaptations, dans sa culpabilité, sa honte, elle finira par être totalement aliénée. Elle entrera progressivement dans les mêmes mécanismes de déni que le PN, mais en miroir : « je l’avais provoqué »/« tu l’as bien cherché », « ce n’était pas si grave »/« tu exagères », « je l’avais mérité »/« c’est de ta faute », « ça va s’arranger »/« ça va aller ».

De plus, les attitudes et comportements du PN vont pousser sa victime à commettre des transgressions malgré elle. Transgressions qui au fond n’en sont pas, mais qu’il fera passer comme telles. À titre d’exemple plus que fréquent : si vous êtes extraverti en public, il vous dira que vous lui faites honte. Honte que vous finirez par ressentir vis-à-vis de lui et de vos proches, le tout associé à la culpabilité d’avoir vous-même transgressé une de vos propres règles. Sur cette lancée et face à l’insistance du PN, un sentiment d’infériorité se maintient et une forme de dépendance se consolide. Et le lien se change en ligature.

L’étape de la perversion signifie l’installation quasi irréversible de l’emprise pathologique. L’isolement, la dépendance et l’aliénation compliquent toute possibilité d’évasion. C’est le stade final. Si ces quelques lignes vous parlent, il est temps de vous libérer de cette prise d’otage.

Texte rédigé par Tim T. Stroobandt

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Nous partageons tous la même planète… et pourtant…

S’il est évident que nous partageons tous la même planète, le simple fait de devoir le souligner pointe du doigt la regrettable vérité : nous l’oublions trop souvent.

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Nous sommes tous les habitants de cette bulle de vie au milieu du gigantisme. Avec chacun nos particularités, nous n’en sommes pas moins, tous, des êtres humains soumis aux mêmes lois du vivant et de la planète que nous peuplons. Nous avons tous les mêmes droits éthiques, issus de la « Déclaration Universelle des Droits de L’homme ». Nous avons tous les mêmes devoirs envers la vie, les autres et nous-même.

Cependant, nous ne cessons de nous déchirer, nous ne cessons de nous opposer les uns aux autres. Comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, « Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire. »

Apparait-il possible alors d’ouvrir une voie vers la paix, vers l’émerveillement et l’enchantement chers à Pierre Rabhi ?

Intrinsèquement semblables…

Que nous vivions dans les îles chaudes du Pacifique, sur les hauts plateaux tibétains ou dans les grandes plaines d’Afrique, nous sommes tous soumis aux mêmes contraintes physiologiques, et devons assouvir les trois fonctions fondamentales : se nourrir, se défendre et se reproduire. 

Nous sommes tous des organismes incarnés, animés par une âme, et un esprit, une intelligence, qui aspirent universellement aux mêmes quêtes de bonheur et d’Amour, aux quatre coins de la planète.

Chacun de nous vient au monde chargé de sa culture, de son environnement, de son milieu social, etc. À notre naissance, notre psyché n’est pas immaculée, mais bel et bien marquée du sceau de notre histoire familiale et culturelle. Depuis le début de l’histoire de l’humanité, les différentes régions du monde ont façonné les hommes qu’elles ont accueillis. Ces hommes ont alors érigé autour de leur groupe des croyances, des morales, des cultures pour bâtir leur identité, et leur appartenance à la communauté. Cette appartenance au groupe est indispensable aux hommes pour qu’ils puissent se construire de façon sereine et sécurisante. Nous parlons de racines, qui s’expriment tels des tuteurs, le long desquels les hommes vont pouvoir vivre et se développer, et par lesquels ils seront guidés.

… avec des dissemblances

Ces racines sont différentes pour chaque groupe d’humains, et font émerger des points de vue très divers sur la vie et l’organisation du monde. 

Cette diversité culturelle, qui s’exprime à plusieurs échelles, est une immense richesse ; elle représente le trésor de l’humanité, telles les facettes parfaites d’un diamant poli. Chaque facette isolément est une merveille, qui est transcendée dès lors qu’elle est observée au milieu des autres.

Cette diversité culturelle, si elle est une richesse, a cependant dérivé et fait émerger des sectarismes prononcés, et des rejets plus ou moins marqués par les hommes. Chacun, imprégné de son acquis, condamne, juge, et rejette celui qui n’a pas les mêmes imprégnations originelles, celui qui est différent…

De là naissent alors le repli identitaire, le communautarisme et toutes leurs dérives violentes et intolérantes. C’est à partir de là que l’homme oublie que « nous partageons tous la même planète ». Il va condamner l’autre, et faire de la lutte contre ses idéaux qu’il juge mauvais le combat de toute une vie. Chacun veut imposer à l’autre sa croyance, le convertir, l’asservir et le dominer, par peur de ne plus exister, niant ainsi la connexion originelle qui le lie à tous et au Tout. Mais est-il si important au fond que l’autre ait les mêmes idées que moi pour qu’il soit mon ami ? Suis-je obligé de condamner l’autre parce que son point de vue ne correspond pas au mien ? Suis-je obligé de forcer l’autre à penser comme moi pour le laisser exister ?

Vers un ego « solidaire », et non « solitaire »

L’homme est tripartite : un corps, un esprit et une âme. Le corps enveloppe l’esprit, qui lui-même enveloppe l’âme. 

L’une des composantes de l’esprit est l’ego, qui désigne la représentation de la conscience de soi et constitue le fondement de la personnalité. Un ego sain et structuré accompagne l’homme vers l’harmonie, la bienveillance et la paix intérieure. Malheureusement, l’ego est trop souvent écorché ou souffrant. Alors, il étouffe l’expression intime de l’âme, et guide les interventions de l’homme vers des mécanismes de replis sur soi et de peur. Et loin de prendre conscience de son lien avec les autres, l’homme s’en coupe et oublie que « nous partageons tous la même planète ». 

L’ego et ses souffrances enveloppent l’âme, et selon les « couches » plus ou moins épaisses qui le composent, il sera plus ou moins en mesure de l’asphyxier. Alors, la peur remplace l’Amour et les hommes se scindent.

L’ego ne vise que son but, sans se soucier du chemin. Pourtant, sur ce chemin, l’ego va couper les liens de l’homme aux autres, et l’isoler. L’expression de l’être profond lié au Tout, celui qui sait et vit que « nous partageons tous la même planète » est inhibé par un ego narcissique « destructeur de connexions ». L’ego accompagne les actions de chacun vers l’incohérence et l’irresponsabilité, et nie le fait que nous sommes tous liés.

Pourtant, Victor Hugo a écrit : « Rien n’est solitaire, tout est solidaire. »

L’éducation pour apprendre à ouvrir son coeur…

Le monde de demain s’écrit aujourd’hui. Des actions de plus en plus nombreuses menées à travers le monde en faveur de l’éducation montrent que l’homme prend progressivement conscience de l’imbrication très forte qui existe entre la misère du corps et celle de l’esprit. L’illettrisme, par exemple, n’est jamais dissociable de l’assujettissement et de l’avilissement de l’homme à sa culture, à son milieu, ou même aux autres hommes.

Einstein a écrit : « Nous passons quinze ans à l’école et pas une fois, on nous apprend la confiance en soi, la passion, et l’amour qui sont les fondements de la vie. » L’école d’aujourd’hui explique à ses élèves comment se couper des autres. Elle leur impose de travailler seuls, isolés, sans demander ni apporter d’aide à son voisin sous peine de sanction et de jugement. Elle apprend la compétitivité, mais pas le dépassement, elle apprend à être meilleur que les autres mais pas meilleur que soi-même. 

L’école apprend le jugement. Et comme le dit Boris Cyrulnik, « le jugement dissout les liens sociaux ». Une réflexion est menée depuis quelque temps sur les notes qui sanctionnent, et qui devraient être remplacées par des couleurs. Mais quelle est la différence entre une mauvaise note et la couleur rouge ? La signification est la même. L’école cherche à éviter de mettre les élèves en situation d’échec. Mais seul l’échec construit !

Plutôt que de vouloir nier l’échec, et de le juger, plutôt que de condamner l’élève qui n’a pas acquis la connaissance ou la compétence, pourquoi ne pourrions-nous pas le mettre face à son échec, sans le juger, simplement en lui donnant les outils pour qu’il le positive et lui permette de s’enrichir. Alors, l’enfant ne ressentira pas la honte de son échec que lui offre aujourd’hui l’école, honte qui blesse son ego et le coupe des autres. Pourquoi ne pas le mettre face à son échec avec bienveillance, et le lui faire assumer ? Alors il mettra en place des systèmes pour le résoudre, accompagné par ses éducateurs, qui ne devraient être là que pour le guider, non pour le sanctionner… L’élève prendra alors conscience qu’il n’est ni jugé, ni seul, et ses liens vitaux aux autres se renforceront. Il vivra plus que jamais intensément le fait que « nous partageons tous la même planète ».

La laïcité : l’acceptation de toutes les religions

Une autre arme de destructions des liens unissant les jeunes aux autres et au reste du monde, est la laïcité, si chère à nos sociétés contemporaines. 

La laïcité, qui à l’origine scelle une démarche d’acceptation de tous les cultes, observe aujourd’hui l’effet inverse. Au lieu d’unifier, elle divise. Elle nie les religions, veut les étouffer, les condamne, les rejette. Et dans la mesure où la religion signe une partie de l’identité, la laïcité en tant que rejet, aujourd’hui blesse l’ego, l’agresse, d’où toutes ces tensions autour d’elle.

Par le rejet des signes religieux dans les écoles, par la suggestion de ne plus installer de crèches pour les fêtes de Noël, ou encore de renommer les vacances scolaires, l’on enseigne à nos jeunes, au nom de la laïcité, à bannir l’autre et sa différence, à le nier dans sa vérité profonde. On coupe chacun de l’autre, on répudie ses liens à l’autre.

Vers une école de l’Amour

L’école ne devrait-elle pas plutôt enseigner le respect et l’acceptation de la différence ? Ne devrait-elle pas mettre en valeur la richesse de la diversité ? Ne devrait-elle pas renforcer le lien de chacun aux autres au lieu de le couper ?

L’école ne devrait-elle pas être le lieu où l’on guide les jeunes vers la découverte d’eux-mêmes, de ce qu’ils sont fondamentalement, où on mettrait en valeur que l’Amour dont ils sont tous bâtis et le lien qui les unit aux autres est le « fondement même de la vie. » ?         Peut-être qu’un nouvel enseignement devrait mettre l’accent sur le « développement harmonieux » de l’être, cher à Einstein, qui permettrait à chacun de renforcer son lien aux autres et au Tout ? Ne devrions-nous pas arrêter de fermer nos jeunes aux difficultés qu’ils rencontrent, mais plutôt les accompagner dans une démarche de responsabilisation, pour les aider à vivre leurs difficultés, à les assumer et à trouver une aide dans l’autre. Ainsi, ils garderaient à l’esprit constamment que « nous partageons tous la même planète ».

Texte rédigé par Emmanuelle Salesse.

Nos Émotions dans tous leurs états

Les émotions sont l’essence même des êtres sensibles, humains et animaux. Elles nous submergent parfois, elles nous anéantissent ou nous élèvent souvent, mais toujours, elles nous meuvent et nous animent, depuis notre premier jusqu’à notre dernier souffle. Elles sont un langage universel qu’il est important de comprendre, pour cheminer vers son harmonie et vers son humanité.

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Un soir d’automne les yeux grand ouverts

Je me souviens d’un soir d’automne où je me promenais sur les crêtes des Monts du Cantal. Le ciel était or, limpide, pur de la moindre intrusion nébuleuse. Le soleil disparaissait lentement derrière l’horizon. Il teintait les montagnes et les forêts de rouge et de jaune, qui se mêlaient au vert des collines, et sublimait ce décor de sa lumière singulière.

Mon organisme tout entier a témoigné de son émerveillement par des manifestations physiques puissantes : chair de poule, larmes aux yeux, gorge nouée, mains moites, impossibilité de bouger. J’étais profondément émue.

Einstein a dit : « Celui qui n’a jamais connu l’émotion, ses yeux sont fermés ». Ce soir-là, mes yeux étaient grand ouverts, esquissant un subtil chemin vers mon âme…

une composante intrinsèque des êtres sensibles

L’émotion est une composante intrinsèque des êtres sensibles, des animaux humains et non-humains pour reprendre les termes chers à Darwin. Elle pourrait se définir comme « une expérience psychologique complexe et intense, avec un début brutal et une durée relativement brève, de l’état d’esprit d’un individu lié à des stimuli internes et externes ». L’homme, soumis à un contexte particulier, va réagir avec émotion à une situation inattendue et soudaine ; il va être le siège de manifestations psychologiques plus ou moins conscientes, plus ou moins contrôlées, et de stigmates corporels propres aux circonstances et à ce qu’il est.

les deux émotions primaires

Darwin a largement étudié les émotions à travers ses travaux d’éthologue et de naturaliste. Il en définit six, universelles et intemporelles, qu’il a pu observer à travers les âges, à travers les cultures et même à travers les espèces. Il s’agit de la joie, de la peur, de la tristesse, du dégoût, de la colère, de la surprise.

L’une des formes d’expression de l’amour dans son sens le plus large est la joie. L’amour correspond à la connexion à l’autre et au monde qui nous entoure, mais aussi à la connexion de sa conscience à son être profond. Lorsqu’on est dans l’Amour, chaque parcelle de soi est connectée au Tout, et on exprime de la joie.

La peur, quant à elle, est le contraire de l’amour. Elle correspond à une déconnexion de soi avec son essence profonde. Il n’y a plus de lien avec l’autre, ni avec le monde environnant et sécurisant, ce qui engendre une sensation de vide, de solitude et de grande angoisse. L’âme de celui qui a peur se terre au fond de son être et s’enferme dans un isolement déstructurant.

les mélanges subtils d’amour et de peur

L’amour et la peur sont donc des sentiments contraires qui définissent l’être sensible, et qui vont édifier chez lui, tout au long de sa vie, en fonction de sa culture, de sa personnalité, ou encore du contexte, des émotions de différentes natures. Elles sont les deux émotions « primaires » qui, mixées comme les couleurs de l’arc-en-ciel, constituent toutes les teintes du spectre lumineux et vont en se mêlant, peindre toutes les nuances de l’âme.

Les autres émotions décrites par Darwin sont un subtil mélange d’amour et de peur, instillés sur l’individu dans des proportions différentes et perçues par celui-ci selon les caractères intimes qui le définissent, selon sa culture, mais aussi selon les paramètres extérieurs qui l’entourent. La psyché de chacun réagit singulièrement à des stimuli externes, en fonction de ses caractères internes.

la nature universelle des émotions

Charles Darwin explique dans son ouvrage « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux » que les émotions ont une nature universelle, et se manifestent par un ensemble d’expressions faciales, de gestuelles et de postures propres à l’émotion exprimée et à l’espèce qui l’exprime.

Ainsi, la colère, la surprise, ou n’importe quelle autre émotion est éprouvée par l’être sensible de façon personnelle et particulière, mais sa forme d’expression présente néanmoins des similitudes, quelle que soit l’ethnie, la culture, ou l’individu. Chaque émotion présente des éléments corrélatifs observables qui la définissent. Le dégout, par exemple, se dessine sur un visage et s’exprime à travers un langage corporel clair et identifiable par le groupe. Il en est de même pour toutes les émotions décrites par le naturaliste.

Les émotions ont donc un caractère universel, comme il a pu les observer et en décrire leurs caractères communs au sein de plusieurs sociétés aux coutumes très diverses, mais aussi au sein d’un large spectre d’espèces animales.

Mais à quoi servent les émotions ?

Le sociologue Goleman s’est alors interrogé sur la fonction des émotions et sur leur utilité au sein du groupe. Il a pu remarquer que l’expression d’une émotion permet à l’autre de connaitre l’état d’âme d’un individu dans une situation donnée. Elle permet ainsi de renseigner le groupe sur la nature des sentiments des uns et des autres, et donc de se positionner au sein de ce groupe, ou de situer l’autre dans un contexte précis.

Cette prise de conscience et cette appréhension de l’état émotionnel des individus contribue à une meilleure adaptabilité de chacun dans la vie communautaire. Chacun apprend à mieux se connaitre, à identifier ses besoins, les besoins de l’autre, et ainsi à les satisfaire au plus près de leurs vérités. Les émotions et leurs différentes formes d’expression permettent ainsi de développer des relations harmonieuses et équilibrées au sein du groupe.

Des études menées par des éthologues et des sociologues montrent que les émotions partagées scellent également des liens précieux et puissants entre les gens. Lors d’expériences traumatisantes comme les attentats ou les catastrophes naturelles, les victimes nouent des relations très fortes entre elles, unies dans leur chair par cette souffrance commune, par ces émotions vives qui raisonnent à l’unisson les unes des autres.

Ainsi, l’expression d’une émotion facilite notre adaptation à l’environnement, notre coexistence et notre survie. Les émotions améliorent donc notre qualité de vie et notre bien-être, à condition bien sûr qu’elles soient conscientisées, acceptées et exprimées.

Ne pas refouler ses émotions

Etymologiquement, « émotion » contient le préfixe « e » qui signifie aller vers l’extérieur, et la racine « motion » qui traduit la notion de mouvement. L’émotion est donc une énergie qui prend naissance à l’intérieur de soi et qui est destinée à en sortir, à être expulsée. Cette énergie provoque des réactions internes vives, comme nous l’avons déjà certainement tous éprouvé, et se diffuse sur notre entourage. 

Pour que nous puissions vivre en harmonie avec nous-mêmes et avec les autres, nous devons donc laisser exprimer nos émotions. Pourtant, notre culture et notre éducation nous réfrènent avec ardeur dans cet exercice. Combien de fois n’avons-nous pas entendu, lu, appris qu’il ne faut pas pleurer, qu’il ne faut pas avoir peur, qu’il ne faut pas rougir ? Pourquoi cela ?

Parce que l’illusion est élégante ? Parce que le déni nous rend plus fort ? Parce que l’absence d’affect est une forteresse invincible qui nous protège ?

Je ne le crois pas.

Les grandes figures de ce monde, les dirigeants des grandes nations, des grandes entreprises, ne nous laissent jamais entrevoir leurs émotions. Comme s’ils avaient peur de se mettre à nu, de se dévoiler et ainsi de révéler leur faiblesse. Ils ont appris qu’être digne signifiait de rien laisser échapper d’eux-mêmes. Mais est-ce vraiment cela la dignité ?

Là encore, je ne le crois pas. Être digne ne serait-il pas plutôt être soi-même, profondément ? Cette puissante énergie émotionnelle qui nait de nos entrailles, qui nous parle et vibre en nous, ne doit donc pas être niée ; elle doit être évacuée, excrétée de notre corps.

la Maladie ou le « mal-a-dit »

Lavoisier a dit : « Dans l’univers, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Si cette énergie reste dans notre organisme, si elle n’est pas exprimée, elle va alors s’amasser, s’accumuler dans nos organes, se transformer et en altérer le bon fonctionnement. Si cette énergie stagne en nous, elle va devenir négative, nocive et génératrice de troubles profonds. Ainsi, à terme, un organe qui va stocker ce type d’énergie néfaste va se mettre à dysfonctionner et à exprimer une maladie. 

N’oublions pas que le « mal-a-dit ». 

Des émotions refoulées, contenues, niées se traduisent par des maux spécifiques relatifs à l’organe récepteur de cette émotion. Par exemple, la peur non exprimée va s’accumuler dans les reins, la colère étouffée va charger le foie en mauvaise énergie, l’inquiétude chronique va affecter l’estomac. 

D’ailleurs, de nombreuses expressions consacrées énoncent clairement ces dommages. Nous entendons souvent dire « j’en ai plein de dos » lorsque des lombalgies chroniques traduisent un sentiment d’impuissance à porter tout le poids de sa vie ; ou encore « tu me pompes l’air » lorsque l’appareil respiratoire dysfonctionne, englouti sous la sensation de manque de liberté ou d’oppression. Nous pouvons aussi avoir des genoux fragilisés lorsque le « je » ne parvient pas à s’harmoniser avec le « nous », (je-nous) lorsque nous avons du mal à trouver notre juste place parmi les autres.

Il est donc important pour chacun de laisser s’exprimer ses émotions. Pourtant, nous essayons toujours avec ardeur de nous délester de notre colère lorsqu’elle nous submerge, de notre jalousie, de notre dégoût, et de toutes les émotions « négatives » qui affleurent à notre conscience.

la Magie ou « l’âme-agit »

Jean-Paul Sartre a écrit : « Nous appellerons émotion une chute brusque de la conscience dans le magique ». Le philosophe parle de magie pour désigner notre âme. En effet, la magie opère lorsque « l’âme-agit ». 

L’émotion serait alors un message, une réponse brutale, parvenue à notre conscience, que nous enverrait notre âme, notre part divine connectée à notre vérité, mais que notre culture, notre morale, notre ego nous masquent.

Les émotions sont la voix de notre âme qui parle à notre conscience, lui indiquant ce qui est bon pour nous (et exprime la joie) ou ce qui ne l’est pas (et nous procure peur, dégout, colère etc…). Elles permettent à notre esprit, à notre mental trop souvent coupé de notre essence profonde, de cheminer vers notre secret, vers notre substantifique moëlle.

Les émotions sont les messagères de notre conscience. Elles nous informent sur la perception qu’en a notre monde intérieur du monde qui nous entoure. Ainsi, écouter nos émotions, les comprendre, les accepter semble indispensable pour cheminer vers notre vérité. Elles tracent un chemin vers notre âme, vers notre « magie ».

Gérer les émotions négatives

Mais accepter nos émotions, nos passions, ne signifie pas ne pas les vaincre. Notre colère, notre tristesse, notre mépris pourront être vaincus lorsqu’on les aura entendus, analysés, compris, et que l’on pourra ainsi les évacuer de façon juste et bienveillante.

Accepter une émotion telle que la colère, le mépris, le dégout, ne veut pas dire la laisser s’exprimer librement, anarchiquement, en bafouant l’autre dans son intégrité. Il n’est pas question de nier l’autre dans cette expérience. Extérioriser une émotion vive, l’exprimer avec justesse, est une tâche laborieuse et difficile qui doit être menée avec bienveillance envers soi-même et envers les autres.

En route Sur le chemin de vos émotions !

Chacun, selon ses besoins intimes, selon ce qui l’anime et le nourrit, peut trouver, par la parole, par l’expression artistique, par le sport, par le rire, ou par un tout autre moyen, celui qui est le plus proche de lui pour évacuer ses émotions, et s’approprier ainsi pleinement l’incommensurable message qu’elles lui livrent.

Texte rédigé par Emmanuelle Salesse.

COVID-19 : notre humanité sous le microscope

Notre humanité doit aujourd’hui faire face à des défis considérables. Le « grand » responsable ? Un ennemi invisible, le coronavirus SARS-CoV-2, une particule microscopique à l’origine de la pandémie de la maladie appelée COVID-19. Au départ de Wuhan, une ville de la Chine centrale, elle se propage depuis fin 2019 à la planète entière. Il ne s’agit que d’une première vague.

Notre monde résistera-t-il ?

© Syaibatul Hamdi (www.pixabay.com)

Vers la fin du monde ou la fin d’un monde ?

Préambule

Les compteurs de la planète s’emballent avec les humains atteints par la COVID-19. Parmi eux, un grand nombre d’hospitalisés, pris en charge en soins intensifs ou malheureusement décédés. Les médecins s’insurgent contre la pénurie des masques de protection et craignent la carence de produits utilisés en soins intensifs tels que les myorelaxants, les sédatifs ou le curare.

La rédaction compatit avec les victimes et leurs proches. Elle remercie particulièrement les personnes travaillant dans des conditions difficiles aux dépens de leur propre santé. Si les soignants sont bien les principaux concernés, d’autres cependant poursuivent également leurs activités dans des secteurs dits « essentiels ».

La stratégie du confinement

Protéger les groupes à risque. Éviter à tout prix l’envahissement massif des lits d’hôpitaux. Préserver la disponibilité des respirateurs ainsi que des produits sanitaires et pharmaceutiques indispensables. Voilà pourquoi la priorité est donnée au confinement strict sous peine de sanctions. Ceci impacte fortement nos conduites et la matrice socio-économique dans ses aspects les plus inattendus. Il s’agit d’un cas d’école défiant les meilleurs experts, tous secteurs confondus.

Finie la récréation !

Cette nature imperceptible nous confronte de plein fouet à notre finitude. Et cette fois, avec une accélération époustouflante si on la compare aux effets différés du désastre climatique. Tout se passe comme si la COVID-19 était venue siffler la fin de la récréation pour inciter la terre entière à réagir immédiatement. Comble de l’ironie, le blocage économique lié au confinement entraîne une chute des émissions de gaz à effet de serre. Certains y verront un maigre lot de consolation, d’autres une directive de droit naturel pour la protection environnementale.

Le fondement de la peur

En tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas maîtriser tout comme nous l’entendons. Et cela génère de la peur. De ce fait, cessons d’être arrogants face aux forces de la nature, car celle-ci évoluera selon ses propres lois et mérite d’être respectée.

Quant à notre dépendance individuelle envers la société, elle est manifeste, et dans les circonstances actuelles, il vaudrait mieux dire criante. Cette vérité, celle d’être à la merci d’autrui et d’un système, engendre d’autant plus la peur que le confinement révèle combien l’organisation de notre société est source de chaos lorsqu’une partie de ses rouages est grippée. En résumé, nous semblons exister lorsque nous sommes rattachés à un modèle de société qui fonctionne. En cas de panne, nous perdons le sens de notre existence ou simplement la vie.

Des répercussions inquiétantes

De surcroît, notre humanité est en souffrance et nous avons été pris de court. Qui eût cru que nous vivrions aujourd’hui un avant-goût du désastre climatique annoncé, même si la cause première est différente ? Les retombées sont aussi nombreuses qu’insoupçonnées, et les médias en font l’écho au quotidien :

  • des réactions égocentriques faisant suite à l’incertitude de l’approvisionnement des commerces alimentaires, des actes de violence, l’achat d’armes à feu en guise de protection individuelle contre des humains dans la misère ;
  • la paupérisation et la famine se marquant dans une configuration inédite avec le blocage mondial des activités économiques « non essentielles », et de ce fait des tensions sociales inévitables ;
  • la cessation de l’enseignement et de l’éducation renforçant l’inégalité des chances ;
  • des souffrances psychologiques et des violences familiales du fait de l’interdiction des activités sociales, sportives et culturelles ;
  • des actes d’incivilité par le non-respect du confinement, des discussions éthiques concernant les malades à prioriser pour les soins ;
  • la pénurie de produits indispensables faisant grimper les prix et favorisant la contrefaçon et les arnaques.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive et se développera sans relâche au cours de cette situation de crise pas aussi passagère qu’on aimerait s’autoriser à le penser. Le monde est triste et révolté.

Et pourtant…

Du personnel soignant et des volontaires s’activent de manière effrénée pour apporter leur aide aux malades et aux personnes les plus démunies. Beaucoup de chercheurs passent des nuits blanches afin de permettre la fabrication de tests et de vaccins. Des ingénieurs du monde entier ont partagé leurs découvertes pour fabriquer des respirateurs de fortune. Certaines entreprises se sont converties dans l’élaboration de produits d’intérêt sanitaire. Des vidéos circulent, expliquant comment confectionner des masques à domicile. Nous trouvons sur internet un tas d’astuces pour compenser la solitude et la sédentarité, et aussi des blagues pour alimenter notre besoin de rire et se détendre.

Par la force des choses, nous avons changé certains de nos comportements. Par exemple, les avions étant cloués au sol, nous ne voyageons plus dans des pays lointains. Le télétravail est privilégié. Tout cela fait un bien fou à la planète. Ou encore, les gens ayant un problème de santé non impérieux n’envahissent plus les services d’urgence de manière intempestive.

Associés dans le même combat, nous assistons désormais à une nouvelle envolée en termes de créativité, de capacité de réaction, de solidarité et de générosité.

Un banc de brume

Ce n’est ni l’heure de la météo, ni une allusion aux millions de microgouttelettes suspendues en l’air lorsque nous parlons, éternuons ou toussons.

Ce titre est simplement une métaphore pour illustrer à quel point nous manquons de clarté sur ce qui est en train de se passer. Fausses vérités ? Vraies dissimulations ? Comment nous y retrouver et surtout comment ne pas sombrer dans l’angoisse et la paranoïa tout en restant réalistes ?

Avant tout, il convient de faire preuve d’humilité et de prudence, car la science, aujourd’hui, ne dispose pas encore de connaissances suffisantes sur ce coronavirus et ses mutations potentielles, ni sur notre réponse immunitaire apparemment variable et passagère. Par conséquent, respectons toutes les mesures préventives qui nous sont conseillées ou imposées pour certaines, même si elles pèsent au niveau individuel en termes de revenus et de contacts sociaux.

Par ailleurs, évitons de prendre pour vérité toute allégation qui n’a pas été vérifiée par des personnes compétentes selon les protocoles scientifiques. Considérons donc ce genre de déclaration comme de la maladresse, et si des hypothèses doivent être émises afin de pouvoir les explorer, elles doivent rester nuancées tant qu’elles n’ont pas été validées scientifiquement.

Enfin, lorsque les épidémiologistes commentent les chiffres à l’antenne, ils s’expriment avec précaution , mais certains l’interprètent comme de la discrétion, ce qui n’est pas pareil. Les enjeux politiques et économiques sont tellement énormes que dans plusieurs pays, d’aucuns s’interrogent sur la véritable liberté d’expression de ces chercheurs.

Un défi majeur pour les responsables politiques

De ce qui précède, l’occasion nous est donnée de nous interroger sur le véritable bon modèle de gouvernance, résultant de l’équilibre, sur base d’une coordination solidaire, entre les aspects politiques, économiques et scientifiques, en ce y compris les sciences sociales et humaines, ou encore, les sciences naturelles.

Admettons que cela peut paraître complètement naïf et illusoire, mais à l’heure actuelle, face à la nécessité absolue d’un changement réel, la vraie question est de savoir si nous avons le courage et la volonté de changer et de faire changer.

Rien n’est permanent. Chaque chose peut changer. Exister c’est devenir. Cette pensée, attribuée à Bouddha, cadre parfaitement avec le mobilisme d’Héraclite. Tout est en devenir, parfois entre deux extrêmes, comme par exemple « la réalité » d’une part, et « l’idéal » d’autre part, de même qu’une pente se définit comme ce qui relie « un bas » et « un haut ».

La fin du monde ou la fin d’un monde ?

Ne nous enfonçons pas dans un pessimisme morbide, car nous pouvons tirer des leçons de cette COVID-19. Dans ce paradoxe où la société nous pousse à l’individualisme et à l’égocentrisme, force est de constater au cours de cette pandémie que l’individu a besoin de vivre en communauté et qu’il existe grâce à elle. Que cet épisode, vraisemblablement le premier d’une série, nous incite à utiliser notre intelligence collective pour réinventer de manière solidaire le monde de demain, respectueux des droits humains et de l’environnement, car si ce n’est pas la pandémie d’aujourd’hui, ce sera le désastre climatique de demain, invisible à sa façon, et certainement lié à notre société de consommation. Favorisons l’économie circulaire et revoyons nos besoins à la baisse.

Ce n’est qu’ensemble et à ces conditions que nous pourrons croire que ce n’est pas la fin du monde, et nous préparer à la fin d’un monde…

10 clés pour vivre heureux

Vous ne vous sentez pas pleinement heureux ? Ou vous pensez peut-être que vous êtes carrément une personne à plaindre ? Alors cet article est pour vous ! Mais attention, le bonheur absolu, encore faudrait-il pouvoir le définir, n’existe probablement pas. Toutefois, nous pouvons tous essayer de vivre heureux le plus possible et le mieux possible. Sans aucun doute un bel objectif pour bien débuter l’année 2019…

© André Rau (www.pixabay.com)
1. Accepter ce qu’on ne peut pas changer

Il existe des circonstances que vous ne pourrez jamais changer, comme par exemple la perte d’un être cher, une maladie génétique ou l’accomplissement d’une faute irréparable. Il y a aussi des cas de figure où l’espoir d’un changement n’est souvent qu’illusion : récupérer un amour perdu, rattraper en dix minutes un retard de trois heures.

Les exemples de situations malheureuses qu’il est raisonnable d’accepter foisonnent, parce que raisonnablement rien ni personne ne pourront y changer quelque chose. Par conséquent, le simple fait de s’accommoder de telles conditions permet de tourner la page, de consacrer son temps et son énergie à autre chose, et de viser l’avenir de manière constructive.

2. Améliorer ce qui peut l’être

De ce qui précède, il ne faut surtout pas penser qu’il faille rester inactif. C’est tout le contraire. Bien souvent, un événement triste ou un fait regrettable permettent par la suite de construire sa vie autrement, de se réinventer, de chercher des alternatives. Pour certains, il s’agit même de renaître, avec un futur plus resplendissant que le passé !

Ainsi, pour illustrer ces propos, il est bon de s’assurer la meilleure hygiène de vie possible afin de préserver au mieux son capital santé, même si ce dernier n’est pas florissant : perdre du poids, équilibrer son alimentation, diminuer les boissons alcoolisées, arrêter toute consommation de drogue ou de tabac, intensifier son activité physique, etc. Autant de bonnes résolutions susceptibles de vous apporter à la fois un bien-être physique et un coup de pouce à votre moral.

Dans un tout autre domaine, il est bénéfique de chercher à corriger, enrichir ou parfaire certains traits qui vous caractérisent. Développez du mieux que vous pouvez les qualités que vous appréciez chez les autres : un visage qui vous sourit, un regard qui vous est porté, une écoute qui vous est réservée, des paroles et des actes qui respirent la transparence et la véracité, la tendresse que vous recevez, l’amour qui vous est donné.

3. Pouvoir ce qu’on veut et vouloir ce qu’on peut

Cela revient à tout mettre en oeuvre pour accomplir un plan, parce qu’il y a désir (pour obtenir une satisfaction) ou parce qu’il y a volonté (pour atteindre un objectif). Réaliser ses aspirations et accomplir ses projets sont source de joie.

Encore faut-il que tout cela soit réaliste, même si c’est ambitieux. En effet, rechercher des satisfactions inaccessibles ou poursuivre des objectifs hors de portée sont source de frustration.

Il faut donc oser ses rêves, mais garder les pieds sur terre, et en cas de doute, il sera opportun de progresser modestement à petits pas dans la bonne direction.

4. Ne pas souffrir à l’avance

Au risque de choquer certains, il existe une bonne et une mauvaise façon de souffrir. Il y a des souffrances auxquelles on n’échappe pas, et au moment où elles surviennent, pour autant qu’elles surviennent, on les subit… Ceci est la bonne façon de souffrir.

Par contre, il y a des souffrances qu’on se représente dans l’avenir sans connaître leur véritable nature et intensité. N’est-il pas dommage, par exemple, de se tracasser durant plusieurs semaines à cause d’une intervention chirurgicale prévue dans 2 mois ? Ceci est la mauvaise façon de souffrir.

Et en guise d’apothéose, il y en a qui se laissent envahir par la peur à cause d’une souffrance imaginaire, à tel point qu’ils se bloquent. Par exemple, certains n’osent pas s’engager dans une relation amoureuse par crainte d’être déçus, d’autres ne postulent pas pour un poste vacant par peur de l’échec. Ceci est la pire façon de souffrir.

5. Vivre l’instant présent

En premier lieu, vivre c’est être, conjugué à l’indicatif présent : je suis, et non pas j’étais ou je serai. Vivre, c’est donc expérimenter chaque instant actuel et réel au fur et à mesure qu’il passe. La dimension temps est un processus continu que personne ne peut arrêter ni avancer ou reculer.

Petit parallélisme entre la vie et la musique : pour découvrir une mélodie, il faut la laisser jouer au tempo de la partition, sans l’arrêter, sans la rembobiner en arrière et sans l’accélérer en avant, sinon, elle n’existe plus.

Exister, c’est vivre l’instant présent, en appréciant ou en détestant chaque moment qui passe, et agir et ressentir en conséquence, pleinement concentré sur ce qui a lieu maintenant et ici. Chaque minute nous apprend et nous fait grandir…

Le plus regrettable est d’avoir le regret de n’avoir pas apprécié le temps présent au moment où il se déroulait dans le passé. Le meilleur moyen pour dissiper cette amertume est de se concentrer sans tarder sur ce qui se passe ici et maintenant.

6. Ne pas vivre dans l’attente

Vivre dans l’attente c’est prendre le risque d’être déçu. Ne vaut-il pas mieux contacter soi-même un ami au moment où l’envie vous traverse l’esprit plutôt que d’attendre que lui vous appelle ?

Chacun est acteur de sa propre vie. Prendre les choses en main permet de les faire bouger et d’aller de l’avant, sachant que la force est d’abord en soi.

Et lorsque malgré tout survient l’inattendu, c’est tout simplement un cadeau de la vie ou d’un être qui vous veut du bien, comme l’illustre cette citation de Jean d’Ormesson : « Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu ».

7. Être soi

C’est un peu surréaliste, mais il est parfois plus facile de paraître quelqu’un d’autre que d’être tout simplement soi. Il peut sembler difficile pour certains d’accepter ce qu’ils sont et qui ils sont, d’agir en conformité avec leur état d’âme et de dire « non ».

En effet, n’est-il pas frustrant de préférer se taire au lieu d’exprimer son affection, son intérêt ou de manifester sa déception, sa désapprobation, sa colère ? Cela peut provenir d’un manque de confiance en soi comme de la crainte de la réaction de l’autre. Dans les deux cas, vous pouvez recourir à une astuce particulièrement honnête et efficace, en déclarant votre perception… Celle-ci vous appartient, personne ne peut donc la critiquer ou la nier, sauf vous, car c’est votre réalité. Votre perception n’est ni blessante ni accusatrice, elle remet votre personnalité à l’honneur, et en la faisant connaître, vous vous ouvrez à un véritable dialogue sans risquer de vous perdre dans la réaction de l’autre.

Comme nous venons de le voir, se faire respecter, c’est déjà bien, mais se respecter (sans le verbe faire), c’est une autre aventure ! Cela suppose de se connaître soi-même, ce qui n’est pas toujours évident, et ensuite de chercher à s’épanouir en accord avec soi. Pour y arriver, des exercices d’introspection s’avèrent utiles.

Par ailleurs, le regard intérieur sur soi nous permet de découvrir non seulement notre singularité qui demande le respect comme expliqué ci-dessus, mais aussi notre humanité qui sollicite la tolérance. Je tolère ce que les autres sont, et j’attends des autres qu’ils me tolèrent tel que je suis, car nous avons tous une part d’humanité qui fait que nous sommes dotés de mêmes besoins, aspirations, pulsions, répulsions.

8. Aimer pour être aimé

Être aimé, n’est-ce pas l’aspiration la plus universelle ? Et fort malheureusement, beaucoup de gens ne se sentent pas aimés. L’amour se décline de mille et une façons. Peut-être sommes-nous trop exigeants envers les autres, et incapables d’apprécier l’amour qu’ils nous donnent déjà ? Sommes-nous suffisamment doués pour aimer autant que ce que nous serions en « droit » d’attendre des autres ?

Quelles que soient les réponses à ces questions, il sera plus facile pour les autres de nous donner de l’amour si nous exerçons notre propre capacité à aimer davantage tout en restant soi.

9. Savoir bien s’entourer

Vivre de manière tolérante est une chose, mais pour s’épanouir, il faut savoir bien s’entourer. Ceci n’a rien à voir avec de l’opportunisme lorsqu’il s’agit d’éviter des personnes qui vous tirent vers le bas, vous harcèlent, vous manipulent pour pomper toute votre énergie.

10. Agir selon le beau, le bon et le vrai

Une vocation sans doute universelle est d’expérimenter pleinement le bonheur sur base de trois fondements que sont le beau, le bon et le vrai.

Le beau nous apaise, nous émeut, nous cultive. Le beau resplendit au-delà de toute considération physique ou plastique. Nous le retrouvons volontiers dans la nature et dans l’art, mais aussi dans ce que notre intérieur humain peut révéler.

Le bon nous attendrit, nous console, nous rassure, nous délivre, nous réchauffe, nous illumine. Le bon est un acte d’amour.

Le vrai nous donne confiance, nous ouvre des horizons, nous permet d’avancer et laisse transparaître la lumière. Le vrai est le fruit d’un coeur pur.

Dès lors, pouvons-nous encore faire des choix ou accomplir des actes qui n’aillent pas dans le sens du beau, du bon et du vrai ?

Comment utiliser les 10 clés ?

Chacune des clés mérite à elle seule d’être exploitée séparément. Si vous désirez vous les approprier, nous vous suggérons de vous concentrer sur une seule à la fois, et ce pour une durée de quelques jours, semaines, mois, années selon le besoin et la priorité que vous lui accordez. Viennent ensuite les autres, de manière successive ou cumulative. Et n’oubliez jamais : vouloir adopter ne fût-ce qu’une seule petite clé, c’est déjà progresser !

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