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Emprise, quand tu me tiens

Le mot « emprise » est bien trop souvent utilisé pour désigner une relation négative : il est alors synonyme d’une chose à éviter, à maudire, à fuir. Osons nous poser la question : est-ce réellement une si mauvaise chose ? Devons-nous à tout prix la diaboliser ? Existe-t-il un équilibre où l’emprise serait indispensable, nécessaire, à la construction d’une relation stable, durable et « idéale », et que dès lors, il ne faudrait se méfier que de sa version pathologique ? Je pense que oui… Permettez-moi donc de vous guider à travers l’emprise et ses dérives.

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Qu’est-ce que l’emprise ?

Partir de l’idée socialement acceptée et soulignée que l’emprise soit forcément mauvaise serait une erreur. Et pour cause, les termes pour qualifier l’emprise ne manquent pas et sont brandis à tout va : citons pour simples exemples les mots comme « perversion narcissique », « manipulateur pervers », « relation toxique », « aliénation », « manipulation », « influence malsaine », « tyrannie », « sujétion », et j’en passe.

Alors qu’en réalité, ces mots ne désigneraient qu’au mieux des relations dites « pathologiques » dans lesquelles l’emprise est mise au service d’un seul au détriment d’un autre qui serait toujours de bonne composition. D’autres fois, ces mêmes termes sont davantage utilisés pour qualifier des incompatibilités (ou au contraire de trop grandes compatibilités) lorsqu’il n’y a simplement pas d’entente possible pour un chemin commun entre des partenaires. « On ne peut pas plaire à tout le monde », n’est-ce pas ? Quand bien même, nous nous efforçons à le faire malgré nous.

Il y a donc « emprise » et « emprise » : une emprise qui se joue malgré nous et une dynamique d’emprise dans laquelle les partenaires entretiennent des liens affectifs sincères et réciproques.

Réciprocité, le mot est lâché. Toujours convoitée, rarement comblée. Ce n’est pas parce qu’on parle d’une relation d’emprise, qu’elle se joue sans l’accord, la participation et l’utilisation réciproques de ses mécanismes. Chacun a envie d’avoir un peu d’emprise sur son partenaire et chacun a envie qu’il ou elle en ait également sur soi. La construction d’un couple ou d’une famille stable et pérenne se joue sur l’emprise réciproque que chaque membre peut entretenir sur l’autre. Cette réciprocité pousse à l’adaptation, à la transformation ou encore à l’abandon de certaines habitudes qui dérangent son partenaire, ses enfants, ses parents, ses amis, ses collègues, etc. Le tout dans l’esprit de construire une atmosphère suffisamment agréable pour que tous puissent trouver une place au sein de la relation. Par exemple, il est commun de manipuler nos enfants en pensant que c’est pour leur bien, et en retour, nos enfants font de même en pensant aussi que c’est pour notre bien.

Ainsi, les liens affectifs que nous nouons passent nécessairement par des mécanismes d’emprise que nous désirons réciproques. Lorsque les liens familiaux, les liens conjugaux, les liens fraternels ou les liens d’amitiés sont non toxiques, l’emprise qui est en jeu permet l’engagement, la fidélité, la loyauté ou encore le partage des valeurs et des projets, tout en laissant à chacun la place d’exprimer ses différences et ses désaccords. Elle permet à chacun de commettre des erreurs et d’œuvrer à la résolution des conflits, car les liens qui les unissent sont plus forts que l’envie d’avoir toujours raison ou de risquer une séparation.

Lien n’est pas relation

Le lien, c’est ce qui nous attache les uns aux autres. Ce qui nous attache à nos parents, à nos enfants ou à nos amis est impalpable. Nous ne pourrions décrire précisément les affects, les jeux d’influences, d’engagements et de loyautés que nous entretenons. On a beau être un homme, grand, fort et viril… mais quand votre enfant vous dit que vous êtes une princesse, vous êtes une princesse. Nous avons ce lien qui nous pousse finalement à accepter son influence, ses désirs et ses envies, et ce faisant, à participer à la consolidation du lien qui nous unit.

Le lien est incorporel, non descriptible, irrationnel et profondément subjectif. C’est cette chose qui nous retient d’une séparation alors que nos relations sont conflictuelles. La relation, en revanche, est le côté observable de nos interactions. Prenons un exemple : j’entretiens une relation avec mon boucher, je peux vous décrire la prestation de service, les différents comportements et attitudes cordiaux et sympathiques que nous adoptons pour nous conformer aux attentes sociales et pour rendre cet échange agréable. Toutefois, je ne noue pas de lien avec mon boucher. Passé la porte, il n’aura aucune influence sur ma journée ni moi sur la sienne, et sur le plan affectif, je ne garderai rien de lui sur le long terme. La relation n’engage ni loyauté, ni fidélité, ni affect.

En d’autres termes, le lien et la relation, c’est ce qui devrait faire la différence entre le flirt d’un soir et l’engagement conjugal.

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Le lien toxique dans l’engagement symétrique

Dans un premier temps, je vous invite à constater que j’ai délibérément utilisé l’appellation « liaison toxique », plutôt que « relation toxique », car il y a une différence notable entre ce qu’est un lien et ce qui renvoie à la relation.

Ce qui différencie le lien toxique de la relation toxique se situe dans l’asymétrie des objectifs, des manques et des besoins de chacun. Dans un lien toxique, les partenaires ont noué des liens, ils ont une emprise réciproque, mais tristement incompatible. Dans ce cas, l’emprise est toxique pour tout le monde. Ce n’est pas parce qu’on parle d’emprise que l’autre a forcément l’intention d’en faire une relation toxique ou que la personne qui souffre est forcément la victime de l’autre, il se peut que cette dernière soit la victime de ses propres insatisfactions. Les termes du contrat ne sont pas les mêmes pour les partenaires. Ils souffrent mutuellement, mais n’ont pas la volonté de détruire l’autre, malgré que cela puisse se produire. Dans le cas d’un lien d’emprise toxique, les deux acceptent la souffrance et la destruction d’eux-mêmes, mais aucun d’eux n’en jouit. Comprenez que le lien n’est pas toujours positif.

Pourquoi rester alors que ça ne va pas ?

Diverses raisons poussent les partenaires à rester malheureux ensemble : je peux citer la culpabilité de faire souffrir l’autre davantage, la honte de faire face ouvertement à un échec, le soi-disant bien-être des enfants, la peur de l’inconnu, de l’incertitude, de l’abandon ou de la solitude. Alors que la culpabilité nous pousse à la réparation, la honte de son côté nous fait risquer l’exclusion. Là où l’inconnu et l’incertitude nous angoissent, l’abandon et la solitude nous poussent à rester malgré tout. Implicitement, nous trouvons toujours une ou plusieurs bonnes raisons pour ne pas se séparer tout en y pensant fermement. Dans ma pratique, il arrive souvent de constater que même si la décision est prise, ce sont ses conséquences qui ne sont pas encore assumées. Quelque chose nous pousse donc à rester ensemble, mais l’intention n’est pas la destruction de l’autre. Ici, l’engagement reste symétrique.

Contrairement au lien toxique, la relation toxique implique une intention de destruction perçue comme nécessaire par l’auteur. Une violence morale à travers la destruction systématique, lente et durable de la victime pour créer un sentiment de toute-puissance venant combler une absence de narcissisme : la perversion narcissique. Ici, nous entrons dans l’engagement asymétrique.

La relation toxique pour une emprise pathologique

La relation est toxique lorsqu’il y a une asymétrie dans l’engagement, c’est-à-dire que l’un est dans le lien, l’autre est dans la relation. Là où l’un signe un contrat de lien qui l’engage, l’autre ne signe rien et n’entretient qu’une relation qui n’engage à rien. Des fois, cela ne dure pas longtemps, la séparation arrive unilatéralement. L’un des partenaires n’a finalement pas su nouer de lien. D’autres fois, la séparation n’a pas lieu. Alors que l’un a signé sincèrement un contrat de lien, l’autre entretient l’illusion d’une signature.

Le loup montre toujours patte blanche

Dans l’emprise pathologique, les partenaires signent un contrat sur lequel ils semblent d’accord, et avec lequel opère l’illusion d’un engagement mutuel. L’un donnera le meilleur de lui-même, « se pliera en quatre », alors que l’autre n’y participera pas. La victime, isolée physiquement et surtout aliénée moralement, se rendra compte de la supercherie, et pour autant qu’elle s’en rende compte, ce sera trop tard. Elle n’a pas signé de contrat, elle a signé un pacte avec le diable.

Dans la relation d’emprise pathologique, il y a un vice de consentement où l’auteur aura pour objectif de se nourrir de la destruction de tout ce qui appartient à l’identité de sa victime. C’est dans ce cas que nous pourrions parler de structure perverse dans un premier temps, puis de perversion narcissique dans un second temps (cela fera sans doute l’objet d’un autre article). L’auteur jouira de cette emprise et s’alimentera du déclin physique et psychologique de sa victime.

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Les 4 étapes vers la destruction

Je vous propose un voyage au cœur de l’apocalypse. Voici l’un des cheminements possibles vers l’emprise pathologique.

La séduction

Le pervers narcissique (PN) fait tout pour mettre la main sur sa victime et portera le masque qui lui conviendra le mieux pour la piéger. Ainsi sa victime entendra des mots agréables à l’oreille : « Tu es tout pour moi », « Je n’ai jamais vécu un amour aussi fort avec quelqu’un d’autre », « avec toi, c’est différent », etc. Le PN demandera à sa victime de faire des choses pour lui, de changer pour lui et il en fera de même dans un premier temps, afin de mieux mettre en place son emprise. Une fois sa proie sous emprise, le PN se rendra compte qu’un lien s’est noué, qu’elle est affectivement attachée à lui. Alors seulement, il passera à l’étape suivante : l’insensibilité. La réalisation du lien passera par un évènement notable et suffisamment particulier comme l’arrivée d’un premier enfant. N’avez-vous jamais entendu, « il n’est plus le même depuis le mariage ? » ou « tout a changé depuis l’arrivée de notre enfant » ?

L’insensibilité

À ce stade, la victime ressent progressivement que l’auteur a de l’influence sur elle, sur sa manière de penser et de faire, mais qu’à l’inverse elle n’a pas beaucoup d’influence sur lui. Elle fera des choses pour lui et elle changera parce qu’il le lui demande, mais à l’inverse, lui ne changera plus aucun comportement, ni aucune attitude. Il devient indifférent, quand bien même il prétendra l’inverse. Son naturel revient au galop et son masque tombe tout aussi progressivement.

La transgression

La première transgression suffisamment grande pour remettre en doute les clauses du contrat, sera, en fonction des sensibilités de chacun : la première insulte, le mensonge, la tromperie, l’adultère, le premier coup…. Le PN essayera de faire passer cela pour quelque chose de justifié, en chargeant la victime de la faute qu’elle a commise. En faisant appel à son empathie, sa compassion, sa culpabilité ou sa honte, la transgression finira par être « nécessaire » par rapport à la faute ou à la négligence qu’elle aurait selon lui commise. Quelque part, il est déjà trop tard. Elle partira en quête de ce qu’elle pourrait faire puisque son bon sens l’enjoint à considérer sa propre part de responsabilité. Peut-être n’est-elle pas suffisamment compréhensive, peut-être n’est-elle jamais satisfaite ? Elle finira par devoir réparer une faute qui à l’origine n’est pas la sienne. Lui, en revanche, ne sera jamais ni satisfait, ni satisfaisant.

La perversion

Ce qui est d’abord une transgression ponctuelle, se transforme en transgressions systématiques, la « norme », voire une obligation. À ce stade, la victime est déjà trop engagée sur plusieurs niveaux affectifs, sociaux ou économiques. Trop loin dans ses adaptations, dans sa culpabilité, sa honte, elle finira par être totalement aliénée. Elle entrera progressivement dans les mêmes mécanismes de déni que le PN, mais en miroir : « je l’avais provoqué »/« tu l’as bien cherché », « ce n’était pas si grave »/« tu exagères », « je l’avais mérité »/« c’est de ta faute », « ça va s’arranger »/« ça va aller ».

De plus, les attitudes et comportements du PN vont pousser sa victime à commettre des transgressions malgré elle. Transgressions qui au fond n’en sont pas, mais qu’il fera passer comme telles. À titre d’exemple plus que fréquent : si vous êtes extraverti en public, il vous dira que vous lui faites honte. Honte que vous finirez par ressentir vis-à-vis de lui et de vos proches, le tout associé à la culpabilité d’avoir vous-même transgressé une de vos propres règles. Sur cette lancée et face à l’insistance du PN, un sentiment d’infériorité se maintient et une forme de dépendance se consolide. Et le lien se change en ligature.

L’étape de la perversion signifie l’installation quasi irréversible de l’emprise pathologique. L’isolement, la dépendance et l’aliénation compliquent toute possibilité d’évasion. C’est le stade final. Si ces quelques lignes vous parlent, il est temps de vous libérer de cette prise d’otage.

Texte rédigé par Tim T. Stroobandt

Benghozi, P. (2010). Le scénario généalogique porte-la-honte. Dialogue, 190/4, 25-40.

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