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Médecine

Libérer un secret personnel : vouloir, pouvoir ou nécessité ?

Un secret personnel, qu’il soit noble ou vilain, peut être partagé avec des êtres qui nous sont chers et à qui nous donnons ainsi notre confiance. Mais parfois, le secret personnel se cache à nos propres yeux, tellement il est enfoui dans les profondeurs de notre conscience pour atteindre notre subconscient. Ce secret-là, je l’appellerai dorénavant le secret insaisissable, en opposition au secret ordinaire, celui que l’on décide de divulguer ou non. Un secret insaisissable peut entraîner un état de mal-être et nuire à la santé mentale et physique. La personne qui détient un tel secret aura du mal à le faire remonter des ténèbres, et par conséquent, à se libérer de sa souffrance.

© philm1310 (Pixabay)
Jardin secret ou champ de bataille

Nous avons probablement tous notre jardin secret, parsemé de secrets ordinaires plus ou moins beaux, une sorte d’éden dans lequel nous aimons parfois nous balader par la voie de notre imagination, et sourire à certains vécus du passé qui ont construit notre personne.

Mais pour d’autres, ce jardin s’apparente à un champ de bataille, constitué tantôt de secrets ordinaires, mais blessants, tantôt de secrets insaisissables.

Dans le cas de secrets ordinaires blessants, les personnes vivent par exemple différentes formes de violences et de persécutions dans le silence de leur quotidien familial, relationnel ou professionnel. Ces traumatismes totalisent un grand nombre de secrets lourds à porter, et qui en même temps sont difficiles à confier à des tiers, même s’ils sont bien conscientisés. En effet, les victimes pourraient dévoiler leurs secrets, mais n’osent pas, par crainte de représailles de la part de leur agresseur, ou encore, par un sentiment de honte ou de culpabilité. C’est souvent le cas chez les personnes sous emprise, comme les femmes battues ou les victimes de harcèlement au travail.

Quand il s’agit de secrets insaisissables, je pense à tout ce qui peut générer un stress post-traumatique : dans le décours de l’événement potentiellement traumatique, la victime a vécu le sentiment que sa vie a été menacée et qu’elle aurait pu mourir, comme lors d’un attentat ou d’un braquage. Mais de manière plus subtile, cette forme de stress peut également prendre une tournure dépassée lorsque le fait traumatisant met en péril l’intégrité existentielle dans un sens beaucoup plus large, et pas le simple fait de pouvoir rester en vie. Pour illustrer ceci, les attouchements et attentats à la pudeur chez de jeunes enfants tuent les victimes d’une certaine façon, dans ce qu’elles sont en tant que petites filles ou petits garçons. Qui plus est, le lien envers le prédateur s’avère de facto asymétrique et donc toxique lorsqu’il s’agit d’un parent ou de tout autre membre de la famille ou encore du cercle de connaissances supposé être bienfaisant. Quant aux victimes ayant survécu à un viol, elles sont pourtant mortes dans leur identité existentielle. Pour ces personnes, tout se passe comme si le champ de bataille dont il était question plus haut était laissé en friche dans leur mémoire émotionnelle, afin de ne pas revivre le martyr qui les a déconstruites. Au niveau neuropsychologique, ce phénomène résulte d’une sorte de court-circuit protecteur, bloquant toute interaction entre d’une part, le cerveau cortical capable de conscientiser et d’exprimer, et d’autre part, une partie du cerveau limbique, appelée l’amygdale, détentrice de la mémoire émotionnelle. Ainsi, les émotions post-traumatiques sont gardées prisonnières dans cette zone du cerveau : les victimes ne sont pas capables de les représenter, mais l’impact nocif sur leur existence est majeur. La souffrance est ressentie et portée au quotidien comme un lourd sac à dos, mais demeure sans véritable verbalisation, même si la victime n’a pas pour autant perdu la mémoire de l’événement traumatisant.

Stress et langage corporel

Dès lors, faut-il s’étonner, lorsque notre cerveau n’ose pas (secret ordinaire blessant) ou ne peut pas (secret insaisissable) exprimer une souffrance émotionnelle profonde, que celle-ci s’auto-exprimera bien volontiers par le vécu des symptômes de stress traumatique ou post-traumatique, ainsi que par le biais du langage corporel ? J’illustre ce phénomène avec une métaphore : lorsqu’une évacuation est obstruée, l’eau s’infiltre partout là où elle le peut.

S’ensuivent ainsi différentes formes d’affections psychiques et somatiques dont l’étiologie n’est, de prime abord, pas évidente : par exemple, une dépression survenant malgré un contexte prospère, un trouble dissociatif où la personne, sans crier gare, se détache de soi et de son environnement, l’abus d’alcool ou la consommation de drogues sans raison compréhensible, ou encore, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie à laquelle s’intéressent autant les rhumatologues, neurologues, anesthésistes que les psychiatres.

Il y a aussi les maladies qui connaissent des fluctuations selon l’état de stress, comme par exemple, l’eczéma, l’ulcère d’estomac et les colopathies fonctionnelles, sans perdre de vue que le stress peut aussi altérer l’état d’immunité et favoriser l’apparition de maladies auto-immunes1.

Et enfin, il y a regrettablement des hommes et des femmes qui portent atteinte à l’intégrité de leur propre corps, de manière compulsive ou impulsive, dans le but d’échapper à leur détresse émotionnelle en se concentrant sur la douleur physique qu’ils s’infligent. Parfois, ces automutilations se déroulent en cachette et s’effectuent sur les parties du corps dissimulées par les vêtements.

Avant de poursuivre, je tiens à formuler deux remarques importantes. Premièrement, ce n’est pas parce que l’origine d’une affection est difficile à expliquer qu’il s’agira nécessairement d’une maladie ayant pour origine un psychotraumatisme. Deuxièmement, ce n’est pas parce qu’une maladie est qualifiée de psychosomatique que les personnes qui la présentent ne souffrent pas réellement dans leur corps. De tout ce qui précède, il incombera au médecin de faire la part des choses.

De bien tristes observations : relation de cause à effet ?

Dans ma pratique, j’ai été particulièrement sensibilisé par le grand nombre de femmes qui, au cours de leur existence, ont été victimes d’attouchements sexuels, d’incestes, de viols ou de violences conjugales. En toute transparence, et sans avoir enregistré des chiffres à des fins statistiques sur le sujet, je suis arrivé à ma propre conclusion que près d’un tiers des femmes chez qui j’ai pris la peine de pousser un peu plus loin mes investigations ont connu de telles agressions. Je reviendrai plus loin dans l’article sur la notion d’investigation. J’ai également pu compter des victimes masculines, mais selon moi, dans des proportions significativement moindres.

En parallèle, nous pouvons constater qu’un grand nombre de symptomatologies et de maladies, notamment celles citées plus haut, sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Par exemple, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie, cette maladie invisible, mais invalidante, toucherait jusqu’à 9 femmes pour 1 homme2; l’automutilation s’observe jusqu’à 7 femmes pour 3 hommes3.

© susan-lu4esm (pixabay)

Même si les causes d’un grand nombre de ces maladies sont mal connues, hypothétiques ou multifactorielles (facteur génétique, hormonal, environnemental, …), il n’en demeure pas moins qu’il est tentant de vouloir établir un facteur d’aggravation voire une relation de cause à effet entre ces formes de violences et l’état de santé des victimes, féminines pour la majorité, qui ne relient pas toujours d’elles-mêmes leurs symptômes aux agressions dont elles furent la proie.

Libérer un tel secret personnel est une nécessité

Vous l’aurez compris : de nombreuses femmes, et dans une proportion moindre, les hommes, portent en eux une histoire lourde et indicible, potentiellement responsable de nombreux maux pour lesquels ils n’ont pas de mots.

Mais comment libérer ou faire libérer un tel secret, soit-il ordinaire blessant ou insaisissable, et en ouvrir les portes lourdes et opaques ? Que l’on soit une personne de confiance proche de la victime, thérapeute (médecin, psychologue ou tout autre professionnel de la santé), ou encore, toute personne exerçant une profession visant à apporter de l’aide aux victimes (policier, avocat, …), il importe de savoir comment aider la victime dans le respect du rôle et des compétences de chacun, de sorte que la lumière puisse être faite sur ce qui a causé ses souffrances, avec l’espoir de l’en guérir.

Savoir, le premier pas pour venir en aide

Savoir que toutes ces formes de violence existent, savoir qu’elles sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne pourrait l’imaginer, savoir qu’elles surviennent dans tous les milieux, même les plus inattendus sous prétexte qu’ils sont privilégiés au niveau socioculturel. Savoir, comme montré plus haut, à quel point les secrets ordinaires blessants et les secrets insaisissables peuvent provoquer des dommages psychiques et physiques profonds.

Savoir tout cela, tant et si bien que l’on osera investiguer plus loin, quand bien même la question est délicate et touche à la sphère intime de la victime. Il s’agit bien d’oser investiguer, car à ce stade, ce n’est qu’en toute hypothèse que la victime peut être qualifiée en tant que telle, sauf si elle vous montre un point noir dans la paume de sa main.

Point noir dont il importe de connaître la signification, et même de la faire connaître autour de soi. La campagne #blackdot ou #lepointnoir a été lancée le 25 novembre 2018 et en donne la définition4 suivante : le point noir est un code de détresse destiné aux victimes de violence sous emprise. Il se montre discrètement à une personne choisie, à un moment choisi et est un appel à l’aide. La personne qui aperçoit ce code a pour mission d’aborder la victime discrètement afin de l’aider à s’orienter vers des professionnels. Il s’agit donc de personnes qui portent en elles un secret ordinaire blessant tel que je l’ai défini au début de l’article. Au contraire, les personnes porteuses d’un secret insaisissable s’exprimeront de manière subconsciente par un état de stress et par le langage corporel auxquels il conviendra d’être attentif.

La bonne attitude

Imaginez une victime qui aimerait pouvoir se confier, mais qui n’ose pas, par crainte, par honte, ou parce que tout est confus dans son esprit. Face à elle, un confident ou un professionnel de la santé qui se montre peu disponible, qui est centré sur ce qui est visible, palpable ou compréhensible pour lui. Aucune chance qu’elle puisse se faire entendre, ni aucune chance qu’il puisse gagner sa confiance.

Empathie, respect et bienveillance sont les trois clés pour ouvrir à la victime la voie de la parole. Si nous adoptons une telle attitude, nous serons peut-être la toute première personne à pouvoir repérer des éléments qui s’avéreront pertinents pour la suite.

S’accrocher à l’incompréhensible

Lorsque la souffrance et le mal-être ne peuvent pas trouver une explication évidente organique, biologique ou dans la sphère psychique, il est tentant pour l’entourage de nier ou minimiser, et de penser que cela s’améliorera avec le temps. Quant au médecin, il sera souvent sollicité pour prescrire un antidouleur, un spasmolytique, un anxiolytique ou un antidépresseur, bref, quelque chose qui soulagera le mal. En vain.

C’est précisément ici que doit s’opérer un déclic dans l’entourage de la victime ou chez le professionnel de la santé. Se poser la question s’il n’y a pas une blessure profonde, indétectable à première vue, faisant l’objet d’un secret ordinaire blessant ou d’un secret insaisissable. C’est alors s’accrocher à l’incompréhensible pour faire remonter la vérité en investiguant plus loin.

Tendre une perche

C’est maintenant que vient le moment le plus délicat. Comment aborder une personne devant soi, potentiellement victime, sans avoir aucune certitude qu’elle a, primo, réellement un vécu traumatique, et secundo, qu’elle est disposée à en parler ici, maintenant et avec soi ?

Si l’on pose directement la question suivante : avez-vous été violé(e) lorsque vous étiez plus jeune ? Il y a tout à parier que la personne vous répondra non, et tout se terminera là.

L’astuce consiste à poser la question de manière indirecte, mais sans tourner autour du pot, tout en expliquant son contexte. C’est une manière de vous montrer ouvert au dialogue sans l’imposer à la personne face à vous.

Un médecin pourrait par exemple annoncer à sa patiente que malgré les examens réalisés, il ne trouve pas vraiment d’explication à son mal.  Ensuite, il fera savoir qu’il y a des blessures qu’on n’arrive pas à exprimer ou à divulguer, mais que le corps peut le faire. Ensuite, il dira à sa patiente qu’il va lui tendre une perche en donnant un exemple concret sans qu’elle se sente obligée de réagir ou de répondre que c’est son cas, ou pas. Il poursuivra alors en disant qu’il y a de nombreuses femmes qui, dans leur passé, ont été victimes d’attouchements ou de viols, et qu’elles ont été blessées tellement profondément qu’elles ne peuvent pas l’exprimer avec leurs mots, et que c’est leur corps qui parle. Il terminera en disant à sa patiente que si elle pense être dans cette situation, comme ces autres victimes, que c’est important pour elle de pouvoir se confier un jour à quelqu’un en qui elle a confiance, et que cela ne doit pas être nécessairement ni lui ni maintenant.

Si la personne ne réagit pas ou vous répond que ce n’est pas son cas, il ne faut pas insister et lui demander si elle pense à d’autres formes de traumatismes.

Bien orienter

Alors que faire si la personne vous dit qu’effectivement, elle vit ou a vécu une forme de violence ? Il est important de pouvoir écouter la victime, et selon sa situation, de l’orienter vers les bons profils de compétences : nécessité de mesures de protection, prise en charge psychothérapeutique, conseils juridiques en droit familial ou en droit du travail, intervention d’un travailleur social, suivis médicaux, etc.

Épilogue

Les violences sont nombreuses et revêtent différentes formes. La souffrance qu’elles entraînent est lourde et souvent inexprimable. Par conséquent, les violences ne sont pas assez connues et sont trop souvent banalisées.

Un minimum de prise de conscience de cette problématique et de ses conséquences par tout un chacun permettra, osons l’espérer, de réduire leur incidence et de nous rendre suffisamment attentifs, au quotidien, à tout appel au secours, fût-il silencieux…

Texte rédigé par Philippe Marneth


(1) Stress, immunité et physiologie du système nerveux

(2) Haute Autorité de la Santé : rapport d’orientation sur la fibromyalgie

(3) Automutilation : ressentir la douleur physique pour échapper à la détresse émotionnelle

(4) lepointnoir.com

Nos Émotions dans tous leurs états

Les émotions sont l’essence même des êtres sensibles, humains et animaux. Elles nous submergent parfois, elles nous anéantissent ou nous élèvent souvent, mais toujours, elles nous meuvent et nous animent, depuis notre premier jusqu’à notre dernier souffle. Elles sont un langage universel qu’il est important de comprendre, pour cheminer vers son harmonie et vers son humanité.

© JL G (www.pixabay.com)
Un soir d’automne les yeux grand ouverts

Je me souviens d’un soir d’automne où je me promenais sur les crêtes des Monts du Cantal. Le ciel était or, limpide, pur de la moindre intrusion nébuleuse. Le soleil disparaissait lentement derrière l’horizon. Il teintait les montagnes et les forêts de rouge et de jaune, qui se mêlaient au vert des collines, et sublimait ce décor de sa lumière singulière.

Mon organisme tout entier a témoigné de son émerveillement par des manifestations physiques puissantes : chair de poule, larmes aux yeux, gorge nouée, mains moites, impossibilité de bouger. J’étais profondément émue.

Einstein a dit : « Celui qui n’a jamais connu l’émotion, ses yeux sont fermés ». Ce soir-là, mes yeux étaient grand ouverts, esquissant un subtil chemin vers mon âme…

une composante intrinsèque des êtres sensibles

L’émotion est une composante intrinsèque des êtres sensibles, des animaux humains et non-humains pour reprendre les termes chers à Darwin. Elle pourrait se définir comme « une expérience psychologique complexe et intense, avec un début brutal et une durée relativement brève, de l’état d’esprit d’un individu lié à des stimuli internes et externes ». L’homme, soumis à un contexte particulier, va réagir avec émotion à une situation inattendue et soudaine ; il va être le siège de manifestations psychologiques plus ou moins conscientes, plus ou moins contrôlées, et de stigmates corporels propres aux circonstances et à ce qu’il est.

les deux émotions primaires

Darwin a largement étudié les émotions à travers ses travaux d’éthologue et de naturaliste. Il en définit six, universelles et intemporelles, qu’il a pu observer à travers les âges, à travers les cultures et même à travers les espèces. Il s’agit de la joie, de la peur, de la tristesse, du dégoût, de la colère, de la surprise.

L’une des formes d’expression de l’amour dans son sens le plus large est la joie. L’amour correspond à la connexion à l’autre et au monde qui nous entoure, mais aussi à la connexion de sa conscience à son être profond. Lorsqu’on est dans l’Amour, chaque parcelle de soi est connectée au Tout, et on exprime de la joie.

La peur, quant à elle, est le contraire de l’amour. Elle correspond à une déconnexion de soi avec son essence profonde. Il n’y a plus de lien avec l’autre, ni avec le monde environnant et sécurisant, ce qui engendre une sensation de vide, de solitude et de grande angoisse. L’âme de celui qui a peur se terre au fond de son être et s’enferme dans un isolement déstructurant.

les mélanges subtils d’amour et de peur

L’amour et la peur sont donc des sentiments contraires qui définissent l’être sensible, et qui vont édifier chez lui, tout au long de sa vie, en fonction de sa culture, de sa personnalité, ou encore du contexte, des émotions de différentes natures. Elles sont les deux émotions « primaires » qui, mixées comme les couleurs de l’arc-en-ciel, constituent toutes les teintes du spectre lumineux et vont en se mêlant, peindre toutes les nuances de l’âme.

Les autres émotions décrites par Darwin sont un subtil mélange d’amour et de peur, instillés sur l’individu dans des proportions différentes et perçues par celui-ci selon les caractères intimes qui le définissent, selon sa culture, mais aussi selon les paramètres extérieurs qui l’entourent. La psyché de chacun réagit singulièrement à des stimuli externes, en fonction de ses caractères internes.

la nature universelle des émotions

Charles Darwin explique dans son ouvrage « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux » que les émotions ont une nature universelle, et se manifestent par un ensemble d’expressions faciales, de gestuelles et de postures propres à l’émotion exprimée et à l’espèce qui l’exprime.

Ainsi, la colère, la surprise, ou n’importe quelle autre émotion est éprouvée par l’être sensible de façon personnelle et particulière, mais sa forme d’expression présente néanmoins des similitudes, quelle que soit l’ethnie, la culture, ou l’individu. Chaque émotion présente des éléments corrélatifs observables qui la définissent. Le dégout, par exemple, se dessine sur un visage et s’exprime à travers un langage corporel clair et identifiable par le groupe. Il en est de même pour toutes les émotions décrites par le naturaliste.

Les émotions ont donc un caractère universel, comme il a pu les observer et en décrire leurs caractères communs au sein de plusieurs sociétés aux coutumes très diverses, mais aussi au sein d’un large spectre d’espèces animales.

Mais à quoi servent les émotions ?

Le sociologue Goleman s’est alors interrogé sur la fonction des émotions et sur leur utilité au sein du groupe. Il a pu remarquer que l’expression d’une émotion permet à l’autre de connaitre l’état d’âme d’un individu dans une situation donnée. Elle permet ainsi de renseigner le groupe sur la nature des sentiments des uns et des autres, et donc de se positionner au sein de ce groupe, ou de situer l’autre dans un contexte précis.

Cette prise de conscience et cette appréhension de l’état émotionnel des individus contribue à une meilleure adaptabilité de chacun dans la vie communautaire. Chacun apprend à mieux se connaitre, à identifier ses besoins, les besoins de l’autre, et ainsi à les satisfaire au plus près de leurs vérités. Les émotions et leurs différentes formes d’expression permettent ainsi de développer des relations harmonieuses et équilibrées au sein du groupe.

Des études menées par des éthologues et des sociologues montrent que les émotions partagées scellent également des liens précieux et puissants entre les gens. Lors d’expériences traumatisantes comme les attentats ou les catastrophes naturelles, les victimes nouent des relations très fortes entre elles, unies dans leur chair par cette souffrance commune, par ces émotions vives qui raisonnent à l’unisson les unes des autres.

Ainsi, l’expression d’une émotion facilite notre adaptation à l’environnement, notre coexistence et notre survie. Les émotions améliorent donc notre qualité de vie et notre bien-être, à condition bien sûr qu’elles soient conscientisées, acceptées et exprimées.

Ne pas refouler ses émotions

Etymologiquement, « émotion » contient le préfixe « e » qui signifie aller vers l’extérieur, et la racine « motion » qui traduit la notion de mouvement. L’émotion est donc une énergie qui prend naissance à l’intérieur de soi et qui est destinée à en sortir, à être expulsée. Cette énergie provoque des réactions internes vives, comme nous l’avons déjà certainement tous éprouvé, et se diffuse sur notre entourage. 

Pour que nous puissions vivre en harmonie avec nous-mêmes et avec les autres, nous devons donc laisser exprimer nos émotions. Pourtant, notre culture et notre éducation nous réfrènent avec ardeur dans cet exercice. Combien de fois n’avons-nous pas entendu, lu, appris qu’il ne faut pas pleurer, qu’il ne faut pas avoir peur, qu’il ne faut pas rougir ? Pourquoi cela ?

Parce que l’illusion est élégante ? Parce que le déni nous rend plus fort ? Parce que l’absence d’affect est une forteresse invincible qui nous protège ?

Je ne le crois pas.

Les grandes figures de ce monde, les dirigeants des grandes nations, des grandes entreprises, ne nous laissent jamais entrevoir leurs émotions. Comme s’ils avaient peur de se mettre à nu, de se dévoiler et ainsi de révéler leur faiblesse. Ils ont appris qu’être digne signifiait de rien laisser échapper d’eux-mêmes. Mais est-ce vraiment cela la dignité ?

Là encore, je ne le crois pas. Être digne ne serait-il pas plutôt être soi-même, profondément ? Cette puissante énergie émotionnelle qui nait de nos entrailles, qui nous parle et vibre en nous, ne doit donc pas être niée ; elle doit être évacuée, excrétée de notre corps.

la Maladie ou le « mal-a-dit »

Lavoisier a dit : « Dans l’univers, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Si cette énergie reste dans notre organisme, si elle n’est pas exprimée, elle va alors s’amasser, s’accumuler dans nos organes, se transformer et en altérer le bon fonctionnement. Si cette énergie stagne en nous, elle va devenir négative, nocive et génératrice de troubles profonds. Ainsi, à terme, un organe qui va stocker ce type d’énergie néfaste va se mettre à dysfonctionner et à exprimer une maladie. 

N’oublions pas que le « mal-a-dit ». 

Des émotions refoulées, contenues, niées se traduisent par des maux spécifiques relatifs à l’organe récepteur de cette émotion. Par exemple, la peur non exprimée va s’accumuler dans les reins, la colère étouffée va charger le foie en mauvaise énergie, l’inquiétude chronique va affecter l’estomac. 

D’ailleurs, de nombreuses expressions consacrées énoncent clairement ces dommages. Nous entendons souvent dire « j’en ai plein de dos » lorsque des lombalgies chroniques traduisent un sentiment d’impuissance à porter tout le poids de sa vie ; ou encore « tu me pompes l’air » lorsque l’appareil respiratoire dysfonctionne, englouti sous la sensation de manque de liberté ou d’oppression. Nous pouvons aussi avoir des genoux fragilisés lorsque le « je » ne parvient pas à s’harmoniser avec le « nous », (je-nous) lorsque nous avons du mal à trouver notre juste place parmi les autres.

Il est donc important pour chacun de laisser s’exprimer ses émotions. Pourtant, nous essayons toujours avec ardeur de nous délester de notre colère lorsqu’elle nous submerge, de notre jalousie, de notre dégoût, et de toutes les émotions « négatives » qui affleurent à notre conscience.

la Magie ou « l’âme-agit »

Jean-Paul Sartre a écrit : « Nous appellerons émotion une chute brusque de la conscience dans le magique ». Le philosophe parle de magie pour désigner notre âme. En effet, la magie opère lorsque « l’âme-agit ». 

L’émotion serait alors un message, une réponse brutale, parvenue à notre conscience, que nous enverrait notre âme, notre part divine connectée à notre vérité, mais que notre culture, notre morale, notre ego nous masquent.

Les émotions sont la voix de notre âme qui parle à notre conscience, lui indiquant ce qui est bon pour nous (et exprime la joie) ou ce qui ne l’est pas (et nous procure peur, dégout, colère etc…). Elles permettent à notre esprit, à notre mental trop souvent coupé de notre essence profonde, de cheminer vers notre secret, vers notre substantifique moëlle.

Les émotions sont les messagères de notre conscience. Elles nous informent sur la perception qu’en a notre monde intérieur du monde qui nous entoure. Ainsi, écouter nos émotions, les comprendre, les accepter semble indispensable pour cheminer vers notre vérité. Elles tracent un chemin vers notre âme, vers notre « magie ».

Gérer les émotions négatives

Mais accepter nos émotions, nos passions, ne signifie pas ne pas les vaincre. Notre colère, notre tristesse, notre mépris pourront être vaincus lorsqu’on les aura entendus, analysés, compris, et que l’on pourra ainsi les évacuer de façon juste et bienveillante.

Accepter une émotion telle que la colère, le mépris, le dégout, ne veut pas dire la laisser s’exprimer librement, anarchiquement, en bafouant l’autre dans son intégrité. Il n’est pas question de nier l’autre dans cette expérience. Extérioriser une émotion vive, l’exprimer avec justesse, est une tâche laborieuse et difficile qui doit être menée avec bienveillance envers soi-même et envers les autres.

En route Sur le chemin de vos émotions !

Chacun, selon ses besoins intimes, selon ce qui l’anime et le nourrit, peut trouver, par la parole, par l’expression artistique, par le sport, par le rire, ou par un tout autre moyen, celui qui est le plus proche de lui pour évacuer ses émotions, et s’approprier ainsi pleinement l’incommensurable message qu’elles lui livrent.

Texte rédigé par Emmanuelle Salesse.

COVID-19 : notre humanité sous le microscope

Notre humanité doit aujourd’hui faire face à des défis considérables. Le « grand » responsable ? Un ennemi invisible, le coronavirus SARS-CoV-2, une particule microscopique à l’origine de la pandémie de la maladie appelée COVID-19. Au départ de Wuhan, une ville de la Chine centrale, elle se propage depuis fin 2019 à la planète entière. Il ne s’agit que d’une première vague.

Notre monde résistera-t-il ?

© Syaibatul Hamdi (www.pixabay.com)

Vers la fin du monde ou la fin d’un monde ?

Préambule

Les compteurs de la planète s’emballent avec les humains atteints par la COVID-19. Parmi eux, un grand nombre d’hospitalisés, pris en charge en soins intensifs ou malheureusement décédés. Les médecins s’insurgent contre la pénurie des masques de protection et craignent la carence de produits utilisés en soins intensifs tels que les myorelaxants, les sédatifs ou le curare.

La rédaction compatit avec les victimes et leurs proches. Elle remercie particulièrement les personnes travaillant dans des conditions difficiles aux dépens de leur propre santé. Si les soignants sont bien les principaux concernés, d’autres cependant poursuivent également leurs activités dans des secteurs dits « essentiels ».

La stratégie du confinement

Protéger les groupes à risque. Éviter à tout prix l’envahissement massif des lits d’hôpitaux. Préserver la disponibilité des respirateurs ainsi que des produits sanitaires et pharmaceutiques indispensables. Voilà pourquoi la priorité est donnée au confinement strict sous peine de sanctions. Ceci impacte fortement nos conduites et la matrice socio-économique dans ses aspects les plus inattendus. Il s’agit d’un cas d’école défiant les meilleurs experts, tous secteurs confondus.

Finie la récréation !

Cette nature imperceptible nous confronte de plein fouet à notre finitude. Et cette fois, avec une accélération époustouflante si on la compare aux effets différés du désastre climatique. Tout se passe comme si la COVID-19 était venue siffler la fin de la récréation pour inciter la terre entière à réagir immédiatement. Comble de l’ironie, le blocage économique lié au confinement entraîne une chute des émissions de gaz à effet de serre. Certains y verront un maigre lot de consolation, d’autres une directive de droit naturel pour la protection environnementale.

Le fondement de la peur

En tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas maîtriser tout comme nous l’entendons. Et cela génère de la peur. De ce fait, cessons d’être arrogants face aux forces de la nature, car celle-ci évoluera selon ses propres lois et mérite d’être respectée.

Quant à notre dépendance individuelle envers la société, elle est manifeste, et dans les circonstances actuelles, il vaudrait mieux dire criante. Cette vérité, celle d’être à la merci d’autrui et d’un système, engendre d’autant plus la peur que le confinement révèle combien l’organisation de notre société est source de chaos lorsqu’une partie de ses rouages est grippée. En résumé, nous semblons exister lorsque nous sommes rattachés à un modèle de société qui fonctionne. En cas de panne, nous perdons le sens de notre existence ou simplement la vie.

Des répercussions inquiétantes

De surcroît, notre humanité est en souffrance et nous avons été pris de court. Qui eût cru que nous vivrions aujourd’hui un avant-goût du désastre climatique annoncé, même si la cause première est différente ? Les retombées sont aussi nombreuses qu’insoupçonnées, et les médias en font l’écho au quotidien :

  • des réactions égocentriques faisant suite à l’incertitude de l’approvisionnement des commerces alimentaires, des actes de violence, l’achat d’armes à feu en guise de protection individuelle contre des humains dans la misère ;
  • la paupérisation et la famine se marquant dans une configuration inédite avec le blocage mondial des activités économiques « non essentielles », et de ce fait des tensions sociales inévitables ;
  • la cessation de l’enseignement et de l’éducation renforçant l’inégalité des chances ;
  • des souffrances psychologiques et des violences familiales du fait de l’interdiction des activités sociales, sportives et culturelles ;
  • des actes d’incivilité par le non-respect du confinement, des discussions éthiques concernant les malades à prioriser pour les soins ;
  • la pénurie de produits indispensables faisant grimper les prix et favorisant la contrefaçon et les arnaques.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive et se développera sans relâche au cours de cette situation de crise pas aussi passagère qu’on aimerait s’autoriser à le penser. Le monde est triste et révolté.

Et pourtant…

Du personnel soignant et des volontaires s’activent de manière effrénée pour apporter leur aide aux malades et aux personnes les plus démunies. Beaucoup de chercheurs passent des nuits blanches afin de permettre la fabrication de tests et de vaccins. Des ingénieurs du monde entier ont partagé leurs découvertes pour fabriquer des respirateurs de fortune. Certaines entreprises se sont converties dans l’élaboration de produits d’intérêt sanitaire. Des vidéos circulent, expliquant comment confectionner des masques à domicile. Nous trouvons sur internet un tas d’astuces pour compenser la solitude et la sédentarité, et aussi des blagues pour alimenter notre besoin de rire et se détendre.

Par la force des choses, nous avons changé certains de nos comportements. Par exemple, les avions étant cloués au sol, nous ne voyageons plus dans des pays lointains. Le télétravail est privilégié. Tout cela fait un bien fou à la planète. Ou encore, les gens ayant un problème de santé non impérieux n’envahissent plus les services d’urgence de manière intempestive.

Associés dans le même combat, nous assistons désormais à une nouvelle envolée en termes de créativité, de capacité de réaction, de solidarité et de générosité.

Un banc de brume

Ce n’est ni l’heure de la météo, ni une allusion aux millions de microgouttelettes suspendues en l’air lorsque nous parlons, éternuons ou toussons.

Ce titre est simplement une métaphore pour illustrer à quel point nous manquons de clarté sur ce qui est en train de se passer. Fausses vérités ? Vraies dissimulations ? Comment nous y retrouver et surtout comment ne pas sombrer dans l’angoisse et la paranoïa tout en restant réalistes ?

Avant tout, il convient de faire preuve d’humilité et de prudence, car la science, aujourd’hui, ne dispose pas encore de connaissances suffisantes sur ce coronavirus et ses mutations potentielles, ni sur notre réponse immunitaire apparemment variable et passagère. Par conséquent, respectons toutes les mesures préventives qui nous sont conseillées ou imposées pour certaines, même si elles pèsent au niveau individuel en termes de revenus et de contacts sociaux.

Par ailleurs, évitons de prendre pour vérité toute allégation qui n’a pas été vérifiée par des personnes compétentes selon les protocoles scientifiques. Considérons donc ce genre de déclaration comme de la maladresse, et si des hypothèses doivent être émises afin de pouvoir les explorer, elles doivent rester nuancées tant qu’elles n’ont pas été validées scientifiquement.

Enfin, lorsque les épidémiologistes commentent les chiffres à l’antenne, ils s’expriment avec précaution , mais certains l’interprètent comme de la discrétion, ce qui n’est pas pareil. Les enjeux politiques et économiques sont tellement énormes que dans plusieurs pays, d’aucuns s’interrogent sur la véritable liberté d’expression de ces chercheurs.

Un défi majeur pour les responsables politiques

De ce qui précède, l’occasion nous est donnée de nous interroger sur le véritable bon modèle de gouvernance, résultant de l’équilibre, sur base d’une coordination solidaire, entre les aspects politiques, économiques et scientifiques, en ce y compris les sciences sociales et humaines, ou encore, les sciences naturelles.

Admettons que cela peut paraître complètement naïf et illusoire, mais à l’heure actuelle, face à la nécessité absolue d’un changement réel, la vraie question est de savoir si nous avons le courage et la volonté de changer et de faire changer.

Rien n’est permanent. Chaque chose peut changer. Exister c’est devenir. Cette pensée, attribuée à Bouddha, cadre parfaitement avec le mobilisme d’Héraclite. Tout est en devenir, parfois entre deux extrêmes, comme par exemple « la réalité » d’une part, et « l’idéal » d’autre part, de même qu’une pente se définit comme ce qui relie « un bas » et « un haut ».

La fin du monde ou la fin d’un monde ?

Ne nous enfonçons pas dans un pessimisme morbide, car nous pouvons tirer des leçons de cette COVID-19. Dans ce paradoxe où la société nous pousse à l’individualisme et à l’égocentrisme, force est de constater au cours de cette pandémie que l’individu a besoin de vivre en communauté et qu’il existe grâce à elle. Que cet épisode, vraisemblablement le premier d’une série, nous incite à utiliser notre intelligence collective pour réinventer de manière solidaire le monde de demain, respectueux des droits humains et de l’environnement, car si ce n’est pas la pandémie d’aujourd’hui, ce sera le désastre climatique de demain, invisible à sa façon, et certainement lié à notre société de consommation. Favorisons l’économie circulaire et revoyons nos besoins à la baisse.

Ce n’est qu’ensemble et à ces conditions que nous pourrons croire que ce n’est pas la fin du monde, et nous préparer à la fin d’un monde…

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