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Libérer un secret personnel : vouloir, pouvoir ou nécessité ?

Un secret personnel, qu’il soit noble ou vilain, peut être partagé avec des êtres qui nous sont chers et à qui nous donnons ainsi notre confiance. Mais parfois, le secret personnel se cache à nos propres yeux, tellement il est enfoui dans les profondeurs de notre conscience pour atteindre notre subconscient. Ce secret-là, je l’appellerai dorénavant le secret insaisissable, en opposition au secret ordinaire, celui que l’on décide de divulguer ou non. Un secret insaisissable peut entraîner un état de mal-être et nuire à la santé mentale et physique. La personne qui détient un tel secret aura du mal à le faire remonter des ténèbres, et par conséquent, à se libérer de sa souffrance.

© philm1310 (Pixabay)
Jardin secret ou champ de bataille

Nous avons probablement tous notre jardin secret, parsemé de secrets ordinaires plus ou moins beaux, une sorte d’éden dans lequel nous aimons parfois nous balader par la voie de notre imagination, et sourire à certains vécus du passé qui ont construit notre personne.

Mais pour d’autres, ce jardin s’apparente à un champ de bataille, constitué tantôt de secrets ordinaires, mais blessants, tantôt de secrets insaisissables.

Dans le cas de secrets ordinaires blessants, les personnes vivent par exemple différentes formes de violences et de persécutions dans le silence de leur quotidien familial, relationnel ou professionnel. Ces traumatismes totalisent un grand nombre de secrets lourds à porter, et qui en même temps sont difficiles à confier à des tiers, même s’ils sont bien conscientisés. En effet, les victimes pourraient dévoiler leurs secrets, mais n’osent pas, par crainte de représailles de la part de leur agresseur, ou encore, par un sentiment de honte ou de culpabilité. C’est souvent le cas chez les personnes sous emprise, comme les femmes battues ou les victimes de harcèlement au travail.

Quand il s’agit de secrets insaisissables, je pense à tout ce qui peut générer un stress post-traumatique : dans le décours de l’événement potentiellement traumatique, la victime a vécu le sentiment que sa vie a été menacée et qu’elle aurait pu mourir, comme lors d’un attentat ou d’un braquage. Mais de manière plus subtile, cette forme de stress peut également prendre une tournure dépassée lorsque le fait traumatisant met en péril l’intégrité existentielle dans un sens beaucoup plus large, et pas le simple fait de pouvoir rester en vie. Pour illustrer ceci, les attouchements et attentats à la pudeur chez de jeunes enfants tuent les victimes d’une certaine façon, dans ce qu’elles sont en tant que petites filles ou petits garçons. Qui plus est, le lien envers le prédateur s’avère de facto asymétrique et donc toxique lorsqu’il s’agit d’un parent ou de tout autre membre de la famille ou encore du cercle de connaissances supposé être bienfaisant. Quant aux victimes ayant survécu à un viol, elles sont pourtant mortes dans leur identité existentielle. Pour ces personnes, tout se passe comme si le champ de bataille dont il était question plus haut était laissé en friche dans leur mémoire émotionnelle, afin de ne pas revivre le martyr qui les a déconstruites. Au niveau neuropsychologique, ce phénomène résulte d’une sorte de court-circuit protecteur, bloquant toute interaction entre d’une part, le cerveau cortical capable de conscientiser et d’exprimer, et d’autre part, une partie du cerveau limbique, appelée l’amygdale, détentrice de la mémoire émotionnelle. Ainsi, les émotions post-traumatiques sont gardées prisonnières dans cette zone du cerveau : les victimes ne sont pas capables de les représenter, mais l’impact nocif sur leur existence est majeur. La souffrance est ressentie et portée au quotidien comme un lourd sac à dos, mais demeure sans véritable verbalisation, même si la victime n’a pas pour autant perdu la mémoire de l’événement traumatisant.

Stress et langage corporel

Dès lors, faut-il s’étonner, lorsque notre cerveau n’ose pas (secret ordinaire blessant) ou ne peut pas (secret insaisissable) exprimer une souffrance émotionnelle profonde, que celle-ci s’auto-exprimera bien volontiers par le vécu des symptômes de stress traumatique ou post-traumatique, ainsi que par le biais du langage corporel ? J’illustre ce phénomène avec une métaphore : lorsqu’une évacuation est obstruée, l’eau s’infiltre partout là où elle le peut.

S’ensuivent ainsi différentes formes d’affections psychiques et somatiques dont l’étiologie n’est, de prime abord, pas évidente : par exemple, une dépression survenant malgré un contexte prospère, un trouble dissociatif où la personne, sans crier gare, se détache de soi et de son environnement, l’abus d’alcool ou la consommation de drogues sans raison compréhensible, ou encore, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie à laquelle s’intéressent autant les rhumatologues, neurologues, anesthésistes que les psychiatres.

Il y a aussi les maladies qui connaissent des fluctuations selon l’état de stress, comme par exemple, l’eczéma, l’ulcère d’estomac et les colopathies fonctionnelles, sans perdre de vue que le stress peut aussi altérer l’état d’immunité et favoriser l’apparition de maladies auto-immunes1.

Et enfin, il y a regrettablement des hommes et des femmes qui portent atteinte à l’intégrité de leur propre corps, de manière compulsive ou impulsive, dans le but d’échapper à leur détresse émotionnelle en se concentrant sur la douleur physique qu’ils s’infligent. Parfois, ces automutilations se déroulent en cachette et s’effectuent sur les parties du corps dissimulées par les vêtements.

Avant de poursuivre, je tiens à formuler deux remarques importantes. Premièrement, ce n’est pas parce que l’origine d’une affection est difficile à expliquer qu’il s’agira nécessairement d’une maladie ayant pour origine un psychotraumatisme. Deuxièmement, ce n’est pas parce qu’une maladie est qualifiée de psychosomatique que les personnes qui la présentent ne souffrent pas réellement dans leur corps. De tout ce qui précède, il incombera au médecin de faire la part des choses.

De bien tristes observations : relation de cause à effet ?

Dans ma pratique, j’ai été particulièrement sensibilisé par le grand nombre de femmes qui, au cours de leur existence, ont été victimes d’attouchements sexuels, d’incestes, de viols ou de violences conjugales. En toute transparence, et sans avoir enregistré des chiffres à des fins statistiques sur le sujet, je suis arrivé à ma propre conclusion que près d’un tiers des femmes chez qui j’ai pris la peine de pousser un peu plus loin mes investigations ont connu de telles agressions. Je reviendrai plus loin dans l’article sur la notion d’investigation. J’ai également pu compter des victimes masculines, mais selon moi, dans des proportions significativement moindres.

En parallèle, nous pouvons constater qu’un grand nombre de symptomatologies et de maladies, notamment celles citées plus haut, sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Par exemple, la fibromyalgie ou la polyenthésopathie, cette maladie invisible, mais invalidante, toucherait jusqu’à 9 femmes pour 1 homme2; l’automutilation s’observe jusqu’à 7 femmes pour 3 hommes3.

© susan-lu4esm (pixabay)

Même si les causes d’un grand nombre de ces maladies sont mal connues, hypothétiques ou multifactorielles (facteur génétique, hormonal, environnemental, …), il n’en demeure pas moins qu’il est tentant de vouloir établir un facteur d’aggravation voire une relation de cause à effet entre ces formes de violences et l’état de santé des victimes, féminines pour la majorité, qui ne relient pas toujours d’elles-mêmes leurs symptômes aux agressions dont elles furent la proie.

Libérer un tel secret personnel est une nécessité

Vous l’aurez compris : de nombreuses femmes, et dans une proportion moindre, les hommes, portent en eux une histoire lourde et indicible, potentiellement responsable de nombreux maux pour lesquels ils n’ont pas de mots.

Mais comment libérer ou faire libérer un tel secret, soit-il ordinaire blessant ou insaisissable, et en ouvrir les portes lourdes et opaques ? Que l’on soit une personne de confiance proche de la victime, thérapeute (médecin, psychologue ou tout autre professionnel de la santé), ou encore, toute personne exerçant une profession visant à apporter de l’aide aux victimes (policier, avocat, …), il importe de savoir comment aider la victime dans le respect du rôle et des compétences de chacun, de sorte que la lumière puisse être faite sur ce qui a causé ses souffrances, avec l’espoir de l’en guérir.

Savoir, le premier pas pour venir en aide

Savoir que toutes ces formes de violence existent, savoir qu’elles sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne pourrait l’imaginer, savoir qu’elles surviennent dans tous les milieux, même les plus inattendus sous prétexte qu’ils sont privilégiés au niveau socioculturel. Savoir, comme montré plus haut, à quel point les secrets ordinaires blessants et les secrets insaisissables peuvent provoquer des dommages psychiques et physiques profonds.

Savoir tout cela, tant et si bien que l’on osera investiguer plus loin, quand bien même la question est délicate et touche à la sphère intime de la victime. Il s’agit bien d’oser investiguer, car à ce stade, ce n’est qu’en toute hypothèse que la victime peut être qualifiée en tant que telle, sauf si elle vous montre un point noir dans la paume de sa main.

Point noir dont il importe de connaître la signification, et même de la faire connaître autour de soi. La campagne #blackdot ou #lepointnoir a été lancée le 25 novembre 2018 et en donne la définition4 suivante : le point noir est un code de détresse destiné aux victimes de violence sous emprise. Il se montre discrètement à une personne choisie, à un moment choisi et est un appel à l’aide. La personne qui aperçoit ce code a pour mission d’aborder la victime discrètement afin de l’aider à s’orienter vers des professionnels. Il s’agit donc de personnes qui portent en elles un secret ordinaire blessant tel que je l’ai défini au début de l’article. Au contraire, les personnes porteuses d’un secret insaisissable s’exprimeront de manière subconsciente par un état de stress et par le langage corporel auxquels il conviendra d’être attentif.

La bonne attitude

Imaginez une victime qui aimerait pouvoir se confier, mais qui n’ose pas, par crainte, par honte, ou parce que tout est confus dans son esprit. Face à elle, un confident ou un professionnel de la santé qui se montre peu disponible, qui est centré sur ce qui est visible, palpable ou compréhensible pour lui. Aucune chance qu’elle puisse se faire entendre, ni aucune chance qu’il puisse gagner sa confiance.

Empathie, respect et bienveillance sont les trois clés pour ouvrir à la victime la voie de la parole. Si nous adoptons une telle attitude, nous serons peut-être la toute première personne à pouvoir repérer des éléments qui s’avéreront pertinents pour la suite.

S’accrocher à l’incompréhensible

Lorsque la souffrance et le mal-être ne peuvent pas trouver une explication évidente organique, biologique ou dans la sphère psychique, il est tentant pour l’entourage de nier ou minimiser, et de penser que cela s’améliorera avec le temps. Quant au médecin, il sera souvent sollicité pour prescrire un antidouleur, un spasmolytique, un anxiolytique ou un antidépresseur, bref, quelque chose qui soulagera le mal. En vain.

C’est précisément ici que doit s’opérer un déclic dans l’entourage de la victime ou chez le professionnel de la santé. Se poser la question s’il n’y a pas une blessure profonde, indétectable à première vue, faisant l’objet d’un secret ordinaire blessant ou d’un secret insaisissable. C’est alors s’accrocher à l’incompréhensible pour faire remonter la vérité en investiguant plus loin.

Tendre une perche

C’est maintenant que vient le moment le plus délicat. Comment aborder une personne devant soi, potentiellement victime, sans avoir aucune certitude qu’elle a, primo, réellement un vécu traumatique, et secundo, qu’elle est disposée à en parler ici, maintenant et avec soi ?

Si l’on pose directement la question suivante : avez-vous été violé(e) lorsque vous étiez plus jeune ? Il y a tout à parier que la personne vous répondra non, et tout se terminera là.

L’astuce consiste à poser la question de manière indirecte, mais sans tourner autour du pot, tout en expliquant son contexte. C’est une manière de vous montrer ouvert au dialogue sans l’imposer à la personne face à vous.

Un médecin pourrait par exemple annoncer à sa patiente que malgré les examens réalisés, il ne trouve pas vraiment d’explication à son mal.  Ensuite, il fera savoir qu’il y a des blessures qu’on n’arrive pas à exprimer ou à divulguer, mais que le corps peut le faire. Ensuite, il dira à sa patiente qu’il va lui tendre une perche en donnant un exemple concret sans qu’elle se sente obligée de réagir ou de répondre que c’est son cas, ou pas. Il poursuivra alors en disant qu’il y a de nombreuses femmes qui, dans leur passé, ont été victimes d’attouchements ou de viols, et qu’elles ont été blessées tellement profondément qu’elles ne peuvent pas l’exprimer avec leurs mots, et que c’est leur corps qui parle. Il terminera en disant à sa patiente que si elle pense être dans cette situation, comme ces autres victimes, que c’est important pour elle de pouvoir se confier un jour à quelqu’un en qui elle a confiance, et que cela ne doit pas être nécessairement ni lui ni maintenant.

Si la personne ne réagit pas ou vous répond que ce n’est pas son cas, il ne faut pas insister et lui demander si elle pense à d’autres formes de traumatismes.

Bien orienter

Alors que faire si la personne vous dit qu’effectivement, elle vit ou a vécu une forme de violence ? Il est important de pouvoir écouter la victime, et selon sa situation, de l’orienter vers les bons profils de compétences : nécessité de mesures de protection, prise en charge psychothérapeutique, conseils juridiques en droit familial ou en droit du travail, intervention d’un travailleur social, suivis médicaux, etc.

Épilogue

Les violences sont nombreuses et revêtent différentes formes. La souffrance qu’elles entraînent est lourde et souvent inexprimable. Par conséquent, les violences ne sont pas assez connues et sont trop souvent banalisées.

Un minimum de prise de conscience de cette problématique et de ses conséquences par tout un chacun permettra, osons l’espérer, de réduire leur incidence et de nous rendre suffisamment attentifs, au quotidien, à tout appel au secours, fût-il silencieux…

Texte rédigé par Philippe Marneth


(1) Stress, immunité et physiologie du système nerveux

(2) Haute Autorité de la Santé : rapport d’orientation sur la fibromyalgie

(3) Automutilation : ressentir la douleur physique pour échapper à la détresse émotionnelle

(4) lepointnoir.com

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